Les tableaux vivants de Léon Bakst

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01MARS. 2017

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Les tableaux vivants de Léon Bakst

01 MARS . 2017

Écrit par Elsa Cau

A l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, l’Opéra National de Paris et la Bibliothèque Nationale de France fêtent l’œuvre de Léon Bakst, artiste total de l’avant-garde russe. 

A l’aube de la modernité, Bakst fait figure de génie : à la fois peintre, décorateur, scénographe, styliste, l’artiste maniait la couleur et les formes avec force, saisissant la sensibilité fiévreuse qui s’emparait du monde de l’avant-guerre. De son vrai nom Lev Samoïlovitch Rosenberg, originaire de Grodno (aujourd’hui Hrodna en Biélorussie), le jeune peintre manifeste très tôt des talents artistiques. Formé aux Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, il rencontre, vers 1890, Serge Diaghilev, génial inventeur des Ballets russes qui, bientôt, fascineront toute l’Europe. Avec leur ami commun, l’aquarelliste Alexandre Benois, ils fondent le groupe et le journal avant-gardistes russes Mir Iskusstva, « Le Monde de l’art », sous l’égide duquel se déploieront les ballets.

L’exposition s’ouvre sur la jeunesse de l’artiste, qui travaille sur commande, voyage entre Paris, Saint-Pétersbourg, l’Allemagne et l’Italie… Son style s’affirme, saisissant mélange de modernité occidentale, de références orientales et populaires de sa Russie natale et de l’Antiquité grecque pour laquelle il se passionne. Commence alors la période la plus virtuose de Bakst – qui a changé de nom, s’inspirant de celui de sa grand-mère, Bakster. Les Ballets russes sont lancés, et sous les yeux ébahis du public français se déploient les merveilles de Cléopâtre en 1909, de Shéhérazade et de L’Oiseau de feu en 1910, puis du Spectre de la Rose l’année suivante… Le « magicien des couleurs » comme le surnommait son ami Gabriele D’Annunzio, révèle toute la puissance et l’intensité de son art. Les couleurs chatoyantes, aux contrastes violents et les plans élargis de ses scénographies, l’architecture onirique qu’il y retranscrit transportent les spectateurs. Collaborant avec les compositeurs Claude Debussy, Maurice Ravel, Igor Stravinsky, et les danseurs Ida Rubinstein et Vaslav Nijinski, Bakst conçoit son travail comme un art total : s’imprégnant d’une atmosphère, dialoguant avec les références et la musique, pour que les personnages ne soient plus que « les derniers coups de pinceau » du spectacle.

Le scandaleux Après-midi d’un Faune est certainement l’un des coups de maîtres du duo Bakst-Nijinski. Le danseur, qui en est également le chorégraphe, se meut de profil, incendiaire faune à cornes au costume tacheté de noir qui fait sensation. Ses mouvements saccadés évoluent au milieu d’un paysage bucolique sans perspective, aux larges aplats de jaune, de vert et de bleu. Mis en scène, cet érotisme primitif choque. L’émeute est évitée de justesse lorsque le faune, délaissé par sa nymphe, mime un orgasme devant le public offusqué… Annonçant le scandale que soulèvera, l’année suivante, Le Sacre du Printemps.

Ami de Montesquiou, de la comtesse Greffulhe et des artistes, admiré par Jean Cocteau – qui décrit « sa poussière grise, une poussière nouvelle, poussière d’or et de vives couleurs » -, par Marcel Proust qui n’a « jamais rien vu d’aussi beau que Shéhérazade », Léon Bakst rassasie sa soif de créer dans tous les domaines : il s’essaie à la mode, aux arts décoratifs, à la décoration intérieure. L’exposition du Palais Garnier lui rend hommage à travers quelques flacons de parfums, croquis d’intérieurs ou de tissus d’ameublement. Bakst s’essaie même à la haute-couture. Il inspirera d’ailleurs les plus grands, de Paul Poiret à Jeanne Paquin, jusqu’à Yves Saint-Laurent et Karl Lagerfeld. Le peintre enseigne également, et dira de Chagall dont il fut le maître « ce que j’aime chez lui c’est qu’après avoir écouté attentivement mes leçons, il prend ses pinceaux et ses couleurs et fait quelque chose de complètement différent de ce que je lui ai demandé… »

Au tournant de la Grande Guerre cependant, les débuts de la modernité se radicalisent, et Bakst n’est plus en harmonie avec son temps. En 1918, Diaghilev délaisse la version orientaliste du peintre pour monter à nouveau Cléopâtre, dans laquelle l’abstraction géométrique de Sonia Delaunay triomphe. Devenu conseiller à la danse pour l’Opéra de Paris dans les années 1920, en froid avec Diaghilev, Bakst prend le contrepied de la modernité en s’inspirant du Classicisme. C’est un retour à l’ordre qui emprunte désormais au faste du Grand Siècle français et du XVIIIe siècle italien.

Mais le succès n’est plus au rendez-vous. Bakst ne saisit plus les attentes du public et se brouille définitivement avec Diaghilev, son soutien de toujours, celui-là même qui affirmait pourtant que la révolution qu’ils avaient opérée dans le ballet concernait moins la danse que les décors et les costumes… C’est la fin d’un règne. Le peintre meurt brusquement en décembre 1924. « Ceux qui n’ont pas connu l’époque merveilleuse qui a précédé la Première Guerre Mondiale ne peuvent pas imaginer l’influence immense de Léon Bakst dont le nom était sur toutes les lèvres » écrira Cyril de Beaumont. Désormais, les artistes et les musées du monde entier lui rendent hommage. Tous l’ont encore à l’esprit. Quelque part dans notre imaginaire, dans un flot de couleurs et d’ornements, nue sous sa robe de perles, Ida se déshabille au son de la harpe et Vaslav se cambre sur un air de Debussy…

Elsa Cau

Bakst : des Ballets russes à la haute couture
Palais Garnier – Bibliothèque-Musée de l’Opéra
8 rue Scribe, 75009 Paris
Du 22 novembre 2016 – 4 mars 2017
Tous les jours 10h-17h
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