Hans Bellmer, pour un érotisme surréaliste

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Hans Bellmer, pour un érotisme surréaliste

18 FéVRIER . 2018

Écrit par Elsa Cau

« À Paris seulement se rencontrent ces créatures au visage candide qui cachent la dépravation la plus profonde, les vices les plus raffinés, sous un front aussi doux, aussi tendre que la fleur d’une marguerite ». Suivant l’oeil alerte de Balzac, toute sa vie, Hans Bellmer aura été fasciné par ces filles pas tout à fait femmes, doux objets d’un érotisme un peu morbide.

Combien de corps aura-t-il réinventé ? L’artiste, pilier de l’érotisme surréaliste, pense l’amour comme logique de la douleur, s’émeut des corps ambigus et martyrs, trace le contour d’adolescentes noueuses et invente La Poupée, objet d’un éternel renouvellement.

Autoportrait d’Hans Bellmer (1902-1975) et sa Poupée

L’érotisme, logique de la douleur

Comme chez Pierre Molinier, autre chantre de l’érotisme surréaliste, la construction de l’image de la femme désirée est déterminée par l’homme qui la désire : c’est un reflet puissant qu’il obtient de lui-même. Mais l’érotisme de Bellmer s’attache moins à l’évocation de l’acte sexuel qu’à la recherche subtile de ses motivations. Comment se crée le désir, et pourquoi ?

Au coeur des recherches de l’artiste, la logique de la douleur. Cette réflexion, c’est celle d’un corps double : à la fois en souffrance et en plaisir. Un corps qui cherche son équilibre, et qui pour cela se déplace et se tord. La création d’un pôle virtuel d’excitation permet d’atténuer la douleur : le corps chercherait donc incessamment la délivrance avec ce qu’elle comporte de plaisir. Les compositions de Bellmer représentent ainsi la vie expressive, avec un corps souffrant et jouissant tout à la fois. De là naissent les arabesques de chair déployée, ondulante, sans limites et sans ossature…

L’Etreinte

L’Inconscient et ses mystères sont également au centre de l’oeuvre de l’artiste, qui tente de saisir la sexualité. Mais le hasard et la coïncidence, éléments propres aux Surréalistes, sont eux aussi essentiels dans la construction de son idéal. Le désir n’obéit à aucune logique, aucun cadre : ainsi, chaque organe peut avoir un double plus ou moins probable (oeil se déplaçant dans le lobe d’une oreille, bouche devenant un sexe…) L’artiste dédouble et surtout déplace le foyer d’excitation. Le corps serait une composition sans organe fixe : “Un pied n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour pied” explique l’artiste dans Die Puppe, en 1934.

“Un pied n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour pied”  – Hans Bellmer

Sans titre, étude d’un pied féminin © Elsa Cau

La Poupée, le bricolage du désir

Elle naît entre 1934 et 1939 d’inspirations diverses : la cousine d’Hans Bellmer d’abord, Ursula, adolescente de seize ans pour qui il se consume de désir, une malle contenant les jouets et poupées démembrées de son enfance, expédiée par sa mère après son mariage avec sa première épouse, les contes d’Hoffmann et notamment le personnage de la poupée Olympia, fille artificielle du docteur Coppelius…

La Poupée de Bellmer obéit à quelques règles invariables : elle est mineure, symbolisant le trouble passage de l’enfance à la puberté. Elle représente à elle seule la femme-mère-enfant et se plie aux caprices lubriques de l’artiste avec docilité voire passivité. Le public français la découvre en 1934 dans la revue surréaliste Le Minotaure n°6, sous le titre de Poupée. Hans Bellmer. Variations sur le montage d’une mineure articulée, puis à nouveau dix ans plus tard, avec les Jeux Vagues. La Poupée, dont les poèmes de Paul Eluard illustrent les photographies.

 

Rapidement, après avoir observé de près les poupées articulées du XVIe siècle, Bellmer met au point un système d’articulation en forme de boule, la jointure-boule, qu’il peint en rose, imitant une peau lisse et fraîche. Les positions des poupées deviennent interchangeables à l’infini, se démontent et se remontent en d’incessantes métamorphoses… Bellmer jubile : “le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables.”

« Le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler » – Hans Bellmer

L’acharnement du désir contre la réalité

Tout comme ses Poupées façonnées et photographiées, l’oeuvre graphique de l’artiste appelle et repousse le regard… Le trait est simple, pur, savant, à la manière de celui des grands artistes de la renaissance nordique : l’artiste a d’ailleurs longuement étudié Dürer ou encore Holbein.

Bellmer ne grave pas lui même et en délègue l’exécution contrôlée dans les années 1960 à Cécile Reims. C’est donc un véritable travail à quatre mains qui s’opère, en plus de deux cents planches jusqu’à la mort de l’artiste en 1975. Reims dira de son oeuvre gravé que l’érotisme, au-delà du thème, se retrouve “dans sa facture-même, dans la manière dont les lignes se pénètrent, s’adoucissent et meurent ou s’agressent.”

L’Erotomane

Le sujet ne varie pas : nus, martyrs du désir, machines à plaisir se tordent sous le trait du dessinateur avec une sensualité glacée. Certains éléments s’y retrouvent constamment : la multiplication des mains, le sexe et son double, la jointure inspirée de sa Poupée.

Ce qui semble être le profond pessimisme de Bellmer s’exprime dans son oeuvre et s’y cherche une issue. Plus tard, il témoignera de cet objectif poursuivi : celui de se fondre dans l’autre pour s’oublier soi-même et en devenir immortel… Mille formes, mille corps (re)naissent ainsi sous les yeux de l’artiste, dont le trait s’élance, imaginant un escarpin, une cuisse ou un sexe, et qui obéit à une véritable cérémonie pour ses photographies. “L’opposition est nécessaire afin que les choses soient et que se forme une réalité troisième.” C’est bien là ce que recherchait profondément l’artiste : un troisième choix, celui d’une liberté profonde.

Elsa Cau

Décomposition
Le lire : Hans Bellmer, Die Puppe : Bellmer publie Die Puppe en 1934, un véritable manifeste pour sa création. Le mélange photolittéraire étant très fort chez l’artiste, les 10 clichés de la Poupée (légendés Naissance de la Poupée) mise en scène s’accompagnent tous d’une prose (Souvenirs au sujet de la Poupée). Les dimensions originales du livre (12,2 x 10,8 cm), tiré en édition limitée, soulignaient son caractère interdit…
Hans Bellmer, Paul Eluard, Les Jeux de la Poupée
Le voir à Paris : Au Centre Pompidou
L’écouter : La Poupée selon France Culture
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