Bernar Venet, une visite au monstre sacré à la Venet Foundation, Le Muy

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30JUIL. 2020

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Bernar Venet, une visite au monstre sacré à la Venet Foundation, Le Muy

30 JUILLET . 2020

Écrit par Aymeric Mantoux

Il est l’un des artistes français vivants les plus connus et les plus célébrés au monde. Son œuvre conceptuelle importante et son goût des autres lui ont valu l’amitié des puissants de ce monde. Il a tout fait, tout vu, tout eu. Après quoi court Bernar Venet ? Entretien et découverte de sa Fondation au Muy, dans le Midi, ouverte au public et en plein agrandissement.

Propos recueillis par Aymeric Mantoux | Photographies © Sarah El Hakimi

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L’artiste pose pour Les Grands Ducs au milieu de ses oeuvres, dans le parc de sa Fondation au Muy, dans le sud de la France.

C’est un fringant jeune homme, alerte, souriant, bondissant, qui nous accueille, l’air léger, aérien presque avec sa silhouette affûtée. N’étaient sa barbe et ses cheveux argentés, on lui donnerait vingt ans de moins. Sa gentillesse et sa modestie sont confondantes. Son léger accent chante bon le pays. “Vous allez bien ? Vous voulez un café ?” 

L’artiste propose qu’on s’asseye dans le canapé en acier qu’il a dessiné lui-même -l’un des modèles repris dans une ligne de mobilier qu’il vient de lancer avec le marchand Philippe Gravier, visible à la fondation-, et s’enquiert de savoir si l’on préfère commencer par prendre les photos ou l’interviewer. 

Il faut un certain temps pour s’acclimater à cette immense propriété, à la fois atelier, bureau, lieu de réception, musée, plantée de palmiers et de sculptures magistrales (du maestro mais aussi des plus grands sculpteurs internationaux). On n’a pas l’habitude de trouver de tels domaines en France. Même la piscine est signée de François Morellet, c’est dire si l’on se croirait en Floride ou en Californie. 

Le site, divisé en deux par une rivière et une cascade que borde un ancien moulin, est entièrement boisé et fait face au Rocher de Roquebrune, dont le sommet abrite, lui aussi, trois œuvres de Venet. Mais c’est une autre histoire.

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Celle qui a amené Bernar Venet ici démarre dans une famille modeste des Alpes-de-Haute-Provence. Son talent précoce pour les arts plastiques le conduit à Nice avant un départ rapide aux Etats-Unis dans les années 60. Rapidement, son travail conceptuel le fait connaître et lui apporte un succès important. Dessinateur, sculpteur, peintre, l’artiste plasticien s’essaie avec brio dans toutes les disciplines. 

S’en suivront plus de 200 expositions monographiques et une reconnaissance muséale et institutionnelle dans le monde entier. Ses sculptures en acier monumentales se retrouvent dans les plus grandes collections et les lieux les plus majestueux, de Corée à Hawaii, en passant par le Château de Versailles. 

Ses lignes indéterminées, reconnaissables entre toutes, atteignent des prix pharaoniques dans les ventes aux enchères. Ami des plus grands artistes, Venet jette son dévolu en 1989 sur le Moulin des Serres, dans le Var, où dans le parc classé, il expose ses propres chefs-d’œuvres qui voisinent avec ceux de Franck Stella, James Turrell, ou encore Anselm Kieffer. Des géants, comme lui. Apaisé, l’artiste peaufine aujourd’hui son grand œuvre, celui de laisser une trace dans l’histoire de l’art, tout en préparant ses prochaines expositions aux quatre coins du monde.

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Bernar Venet nous entraîne dans les jardins de sa fondation, nous désigne et nous explique ses sculptures, des anciennes aux plus récentes. Il pose avec plaisir devant son cabanon, cette petite chambre « monacale » dans laquelle il dort parfois, seul (photographie à la une, ndlr). « Il faut que je vous montre l’aboutissement d’un des grands rêves de ma vie. Un retour aux sources : mon cabanon. » Derrière l’artiste, un homme chaleureux, presque tiré d’un roman de Giono. Rencontre.

Cette montagne qu’on voit au loin, elle revêt une signification particulière pour vous ?

Tout à fait. De mon cabanon, on a une vue exceptionnelle sur le rocher de Roquebrune au sommet duquel j’ai fait trois croix en 1990 : une croix de Giotto, une croix de Greco et une croix de Grunewald. Un jour, les gens du pays sont venus me voir pour me demander de faire quelque chose pour remplacer les trois croix en bois qui y étaient depuis le Moyen Âge et étaient détruites. Une légende veut que le jour de la mort de Jésus-Christ la montagne se soit ouverte en trois et, depuis cette époque, les gens viennent en pèlerinage. 

Or, moi je ne fais pas de sujet religieux. Alors j’ai eu l’idée de reprendre les formes des croix de Giotto, Greco et Grunewald et je n’ai pas fait les croix de Bernar Venet, mais les leurs. Je leur en ai fait cadeau et depuis, tous les jours, il y a des gens qui montent là-haut.

 

On ne vous connaissait pas cet attrait pour les sujets religieux !

Non, ce n’est pas mon truc, mais je vais vous surprendre. J’ai conçu la décoration de la chapelle du village où je suis né, Saint-Jean Baptiste à Château Arnoux. Le 11 décembre dernier, j’ai rencontré le pape François à Rome et fait un tableau avec lui ! Un grand moment. Peut-être que c’est pour faire comme Pascal : et si Dieu existait ? Ce serait dommage de pas essayer quelque chose… Non, je suis vraiment complètement athée. Bernar-Venet-19

Mais l’histoire est incroyable. Dans la chapelle que j’ai décorée, je voulais faire un tableau. Je me suis dit que j’allais me rendre en terre sainte, là où Saint-Jean-Bapiste aurait baptisé Jésus, et y prélever de la terre et de l’eau. De la boue, j’ai fait un tableau de deux mètres de long, dans lequel j’ai écrit avec mon doigt cette phrase tirée de la Bible : “Jean n’était pas la lumière, mais le témoin de la lumière”. Au départ, je voulais le faire avec Jean-Paul II, mais cela n’a pas été possible.

Et en décembre dernier, j’ai apporté le tableau au Vatican et j’ai reçu la bénédiction du pape François. C’était très impressionnant. Il est simple, c’était un moment extraordinaire, même quand tu es agnostique, que tu ne crois pas à l’histoire de la bible. C’est une question de spiritualité, pas de foi.

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« Enfant, je voulais être le Pape ! Puis j’ai revu mes ambitions à la baisse et j’ai voulu être missionnaire. J’avais cet « idéal d’idéal » qu’heureusement j’ai remplacé par l’art plus tard ! » – Bernar Venet

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Dans le cabanon, un matelas posé sur une structure bétonnée.

Le spirituel ça reste important pour vous ?

Oui, d’autant plus que je voulais être le pape quand j’étais petit ! Mais il fallait faire trop d’études, alors ensuite j’ai descendu d’un cran mes ambitions et j’ai voulu être missionnaire. Je portais une longue chemise de nuit, une corde à la taille et un crucifix. A 10 ans, si le dilemme m’avait été imposé, j’aurais préféré mourir que de marcher sur un crucifix. J’ai grandi dans une famille croyante et pauvre, certes. Mais moi, j’avais cet “idéal d’idéal” qu’heureusement j’ai remplacé par l’art plus tard !

Pourtant il n’y a pas plus opposé aux croix que les courbes de vos sculptures… 

C’est vrai, ce sont deux mondes différents. Mais nous sommes tous multiples dans nos personnalités et dans nos manières de faire et de vivre. Je ne suis pas comme ces artistes qui trouvent un “truc” et qui croient pendant cinquante ans que c’est la solution pour parler d’art. Moi, je suis tout le temps en train de me remettre en question, je le fais dans mon propre travail et je le fais quand on me donne l’occasion de faire quelque chose.

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La ligne de mobilier, conçue par l’artiste avec le marchand d’art Philippe Gravier, exposée tout l’été à la Fondation Venet au Muy.

Est-ce pour vous remettre en question et vous lancer un nouveau défi que vous avez conçu, avec le marchand Philippe Gravier, cette ligne de mobilier ?

J’ai toujours fait mes propres meubles. Au départ ils étaient en bois, parce que je n’avais pas les moyens de faire mieux lorsque je me suis installé à New York en 1968. J’avais récupéré des planches dans la rue que j’avais assemblées d’une façon dessinée déjà, originale. Deux ans plus tard, quand j’ai commencé à gagner de l’argent, je les ai produits en métal.

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Pourquoi vous étiez-vous installé aux Etats-Unis dès le départ ?

Je suis parti parce que je ne vivais pas de mon travail en France et que je n’avais pas d’argent. C’est Arman que je fréquentais et qui m’aimait bien, qui m’a offert une sculpture afin que je la vende pour financer mon voyage. Je suis arrivé avec 150 dollars en poche. 

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Bernar Venet à son bureau, à la Fondation.

Et puis, tout est arrivé très vite. Dès 1968 j’ai exposé chez Paula Cooper, Leo Castelli, Virginia Dwan avec les plus grands artistes comme Warhol, Sol LeWitt, Dan Flavin. Mes premières expositions internationales à Düsseldorf ou à la Documenta datent du début des années 70. De même que ma première rétrospective. Ce succès aux Etats-Unis m’a ouvert les portes partout ailleurs, même en France.

 

Avez-vous toujours su que vous seriez artiste ?

Enfant, j’avais de mauvaises notes partout, sauf en dessin. Je me suis rendu compte que tout le monde me trouvait doué pour ça, que je pouvais faire la différence dans un domaine. 

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Depuis, j’ai toujours cultivé cette différence, ce talent que j’avais. Et puis comme j’étais souvent malade, je passais mon temps à la maison à dessiner. Ma mère m’a acheté des livres de grands peintres, mais personne dans ma famille n’y connaissait rien. Ca m’a permis de comprendre que peut-être je pourrais faire autre chose que de travailler à l’usine ou faire de longues études. Au départ, je peignais beaucoup de tableaux figuratifs et des natures mortes, d’ailleurs dans mon village, tout le monde en a !

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Dans l’atelier de Bernar Venet au Muy

« A New York, j’ai évolué vers quelque chose de plus radical, de conceptuel. Je voulais proposer une nouvelle configuration. Un geste important qui ne ressemble à aucun autre. » – Bernar Venet

 

Et à quel moment avez-vous évolué, êtes-vous devenu plus abstrait ?

Je ne me considère ni comme un figuratif ni comme un abstrait. J’ai voulu proposer une nouvelle configuration, quelque chose qui vaille la peine d’être exploré. A New York, j’ai compris que l’avant-garde minimaliste existait déjà, et ma démarche a rapidement évolué vers quelque chose de plus radical, de plus conceptuel. Cela se rapproche de ce qu’a pu faire Duchamp en 1916. Un geste important qui ne ressemble à aucun autre. 

A l’époque, je prenais par exemple des formules scientifiques très complexes, que presque personne ne comprend, et que j’envoyais par fax à l’endroit où je devais exposer. Je leur donnais comme instruction d’agrandir ces formules au maximum, puis de les imprimer, et je n’allais même pas au vernissage. J’ai exploré les mathématiques pour faire évoluer l’art.

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Dans les années 70, vous avez ensuite arrêté de produire, de peindre pendant plusieurs années, pourquoi ?

J’avais le sentiment d’arriver au bout de quelque chose, d’avoir exploré une direction suffisamment originale. Je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre. Je ne voulais pas continuer en étant presque un imposteur, vendre pour vendre, ce n’est pas mon affaire, pas ce qui m’intéresse. J’ai donné des conférences, enseigné à la Sorbonne, et surtout je me suis plongé dans de nombreuses lectures de critiques d’art. Vous savez, je ne suis pas beaucoup allé à l’école. C’était l’occasion pour moi d’approfondir mes connaissances, de réfléchir longuement. 

Puis, après quelques années, j’ai recommencé à peindre, et c’est là qu’est venu mon travail sur la ligne, avec les angles, les arcs, d’abord dans la peinture, le dessin, puis en travaillant le bois et ensuite le métal. J’ai élaboré un système, mais mes œuvres ne signifient rien en dehors d’elles-mêmes.

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« Il faut rester modeste, l’Histoire se mérite. » – Bernar Venet

 

Pourquoi avoir décidé d’ouvrir ce lieu en 1989, puis de le transformer en Fondation ?

Au départ, j’ai voulu cet endroit pour exposer au milieu de mes amis, de grands sculpteurs qui m’avaient accueilli à New York, avec lesquels j’ai échangé, exposé. C’est une sorte de grande famille qui a trouvé un lieu d’accueil, d’exposition, une manière aussi de remercier le milieu dans lequel j’ai évolué, de remercier ce que la société me renvoie, m’a permis. Si je suis devenu ce que je suis, c’est grâce à eux, grâce au monde dans lequel je vis. Je ne crée pas pour moi-même, mais pour montrer mon travail. Et comme j’ai bien gagné ma vie, je le dois à la société également. 

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Bernar Venet pose pour nous devant son cabanon.

Il est donc important que ce lieu me survive. Mes enfants sont parfaitement au courant et d’accord avec ça. J’ai naturellement décidé, ensuite, de faire don de ce lieu et des œuvres qu’il contient à une Fondation. Et de permettre aux gens de continuer à voir toutes ces œuvres. Pour que les enfants de mes enfants et leurs enfants après eux puissent voir ce que j’ai voulu montrer. Il faut rester modeste, l’Histoire se mérite, mais c’est vrai que c’est un objectif. Warhol, Cézanne ont eu la même obsession. Qu’un jour on regarde leur travail et qu’on considère leur regard.

A.M

 

Découvrir la Fondation Bernar Venet,
365 Chemin du Moulin des Serres,
83490 Le Muy
Visites sur rendez-vous et sur réservation uniquement. 
Plus d’informations sur le site web de la Fondation.

 

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