Portrait : Thierry Le Luron,

La tête en smoking et le coeur en jeans

Style de vie

20OCT. 2020

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Style de vie

Portrait : Thierry Le Luron

La tête en smoking et le coeur en jeans

20 OCTOBRE . 2020

Écrit par Guillaume Cadot

Thierry Le Luron est le miroir d’une époque. Celle des décennies 70 et 80. Celle de Giscard et de Raymond Barre jusqu’à l’arrivée de François Mitterrand (ses trois cibles préférées !). Une France audacieuse et impertinente emmenée par les Desproges, Douglas et Coluche qui tirent à boulet rouge sur la classe dirigeante, menacés par la censure, ovationnés par le public. Le Luron, c’est un mélange de gendre idéal à la française et de fauteur de troubles. Et son style s’en ressent ! Ce tireur d’élite de l’humour, qui a hissé l’imitation vers le grand art, était aussi d’une élégance rare dans son mode de vie, ses goûts vestimentaires et dans son caractère généreux. Découvert à 17 ans, célèbre à 19 ans, riche à 24 ans, ce flambeur du Tout-Paris toujours en mouvement est parti (vraiment) trop tôt, à 34 ans. Portrait en style.

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Le fameux mariage entre Le Luron et Coluche, le 25 septembre 1985. DR

 

“Il était à la mode, c’est-à-dire chic, dans le vocabulaire de l’époque”

L’élégance vestimentaire de Thierry Le Luron était d‘avis unanime. Un classicisme qui sera sa marque de fabrique tout au long de sa courte vie. Dès l’enfance, Il n’a jamais été habillé comme les autres garçons de son âge. “A partir de la classe de 3ème, il a toujours porté une cravate” nous rapporte Erwan Le Luron, son neveu, qui a consacré son mémoire de maîtrise à l’image de l’humoriste dans les médias de 1970 à 1995. 

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Thierry le Luron au Palace, à Paris. DR

Au lycée Lakanal de Sceaux, qui fut fréquenté par Yves Mourousi noctambule comme lui et par l‘ancien premier ministre Jacques Chaban-Delmas, le déclencheur de sa renommée, il arrive chaque jour vêtu d’un blazer bleu marine, d’un pantalon de flanelle grise, d’une chemise et d’une cravate club. Et quand il rentre déjeuner chez lui, Thierry Le Luron repasse son pantalon et cire ses chaussures pour être aussi impeccable que le matin.

A la fin des années 60, son style se démarque de l’époque tournée vers les cheveux gominées et le blouson noir. Le Luron, lui s’apparente plus aux “minets du Drugstore” avec ses cheveux séparés d’une raie sur le côté (French line comme disaient les Mods anglais) et ses blazers.

Une manière d’apparaître plus âgé, lui qui a gardé toute sa vie un visage d’enfant. Du haut de son mètre soixante-cinq, ses costumes tirés à quatre épingles lui permettent de paraître le double de son âge – pour mieux dire toutes les horreurs sur scène ? 

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Thierry Le Luron s’habillait pour aller dîner, n’imaginait pas une scène sans un smoking, son “bleu de travail” selon ses mots. A ses débuts, il se déplace avec un élément de style qui lui est incontournable : une mallette qui ne le quitte jamais. A l’intérieur, sont parfaitement rangés des stylos, des feuilles blanches, des enveloppes, ses fameuses cartes de visite “TLL l’inimitable imitateur” et un petit carnet dans lequel il note des formules que lui inspirent son observation attentive de la société qui l’entoure.

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Avec sa grande amie Line Renaud, DR

Plus tard, la fortune aidant, il côtoie les plus grandes maisons pour se faire confectionner sa garde-robe. Claude François – qu’il adorait autant pour son style sur scène que sa maniaquerie maladive et sa précision du travail- l’emmène à la maison Jean Raymond Tailleur au 31 boulevard de Bonne Nouvelle, tout proche de théâtre du Gymnase, sa première scène parisienne. 

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Créée par Raymond et Lucien David Langman, la maison habillait le Tout Paris du spectacle dans les années 70. Langman, joint par téléphone, nous confirme l’intérêt de Thierry Le Luron pour le vêtement : “il était à la mode, c’est-à-dire chic dans le vocabulaire de l’époque. Il était consciencieux dans le choix de ses costumes, très gentil, à l’écoute. Il aimait les costumes légers pour ne pas suffoquer quand il sortait la nuit dans les discothèques… Il ne fréquentait pas que notre maison, il faisait aussi tailler ses costumes chez Cifonelli, Camps des Luca, Arnys, Charvet… Toujours des costumes sombres,  qui allongent la silhouette”.

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Son neveu Erwan ajoute qu’il se faisait confectionner ses chemises chez Charvet. “Il avait même fait réaliser un blazer à boutons dorés avec de l’or véritable” ajoute-t-il, sans se souvenir du nom du tailleur. Il nous montre deux montres fétiches de son oncle, qu’il a conservées précieusement : une Tank or de Cartier et la Zenith extra plate qu’il a acheté avec son tout premier cachet.

 

Un style de vie… La nuit

Son éducation, ses bonnes manières, sa culture et son style ont toujours catalogué Thierry Le Luron dans la case “humoriste de droite”, lui qui s’était “marié” avec son ami Coluche. Il rêvait d’ailleurs, à ses débuts, de chez Castel et de cette jeunesse dorée.

Très tôt, il entame joyeusement une vie nocturne parisienne et animée, après avoir couru ses cachets à l’Échelle de Jacob, au Théâtre des Dix Heures, au Don Camillo. Un besoin de fuir dans la nuit où tout est plus beau, plus brillant, plus facile. Il traverse la nuit à coups de rencontres malheureuses masquées sous les paillettes et les éclats de rire.

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Il devient la coqueluche du Tout Paris. Découvert par Fernand Raynaud, poussé par Régine et sa bande, il incarne la France des nuits courtes et des fêtes sans limite. La reine de la nuit lui offrira un porte-billets Hermès, en lui glissant à l’oreille : “que ce porte-billet ne t’empêche pas de jeter ton argent par mes fenêtres !” Un conseil qu’il suivra toute sa vie.

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A quelques pas de son domicile parisien, il déjeune tous les jours au café de Flore ou chez Lipp, où il a sa table réservée à l’année. Ses deux chiens se prénomment Flore et Lipp du nom de la brasserie où il prend ses déjeuners tous les jours. Il y organise sa revue de presse, espionne le microcosme parisien qui alimente ses spectacles, croise ses amis et ses ennemis. A quelques pas de son domicile.

 

La folie des grandeurs (immobilières)

A 24 ans, il acquiert un rez-de-jardin de 400m2 en plein boulevard Saint-Germain où, tous les soirs, il reçoit. Les visiteurs sont accueillis par un valet en gilet rayé, un maître d’hôtel en gants blancs sert les plats préparés par un cuisinier. Son ami Luc Fournol lui apprend l’art de chiner, de déceler le vrai du faux pour meubler son intérieur. “Tout est d’époque ici, la copie, je ne la pratique que sur scène !” s’écrie-t-il quand il reçoit.

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Thierry Le Luron à Paris, DR

Puis, changement de décor : ce sera l’avenue Montaigne et ses 160 m2 avec terrasse où la décoration épurée imaginée par Jean-Michel Wilmotte tranche avec la résidence de Saint-Germain-des-Prés : marbre, verre et murs blancs. Son ami danseur et mondain Jacques Chazot s’écrie “pas mal ton salon, il ne manque plus que les séchoirs et la manucure”. Enfin, la dernière année de sa vie, il la partage entre sa bastide de Saint-Tropez, La Ramade, située dans la chic et discrète anse des Graniers et une suite de L’hôtel Crillon où il se cachera pour mourir.

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Collectionneur de modèles miniatures Dinky Toys depuis sa tendre enfance… DR

Et entre toutes ces belles demeures ? Collectionneur de modèles miniatures Dinky Toys depuis sa tendre enfance, il a le goût des voitures luxueuses et confortables pour effectuer les 35 000 km par an de tournées et galas. 

Quand on lui reproche de rouler en Rolls, il lance “je sais ce que les gens disent… Ce petit bonhomme en Rolls c’est pour en jeter. Mais je peux vous dire, j’ai une Rolls parce qu’une voiture peut être un plaisir… Alors moi qui passe ma vie sur les routes autant que ce soit dans un endroit qui me plaise. Je peux me l’offrir avec de l’argent que je n’ai pas gagné au noir, dont on ne m’a pas fait cadeau, dont je n’ai pas hérité, que j’ai gagné de force en travaillant comme un fou depuis l’âge de 17 ans et dont je donne 72,1 % au fisc…”

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Chez lui, à Saint-Tropez. DR

Élégant, de coeur aussi

C’est sûrement son ami et parolier Bernard Mabille qui résume le mieux la personnalité ambigüe de Thierry Le Luron : “Il imitait les uns mais réjouissait les autres. Il servait du caviar mais se régalait d’un pot-au-feu. Il fréquentait les grands mais recherchait les humbles. Il se brouillait la veille mais vous embrassait le lendemain. La tête en smoking et le coeur en jeans. Une personnalité hors du commun, complexe et attachante. Il m’a appris la liberté de rire de la vie.”

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Le premier imitateur à se produire à L’Olympia en vedette à part entière en 1976 (trente représentations) était pudique sur sa vie privée et à propos de sa générosité. Il aura beaucoup aidé ses amis, pourtant, donnant un coup de main à ceux se retrouvant dans le besoin, réglant les additions au restaurant même s’il n’était arrivé qu’au moment du dessert, agissant avec délicatesse et finesse.

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Sous son allure de communiant se cachait un esprit brillant et vif, une verve acerbe, un oeil espiègle. Un observateur fin du monde politique et de ses concitoyens qu’il dézingue, en redoutable satiriste qu’il est. Dandy impertinent à l’aise dans le monde du luxe et proche du populaire, fréquentant le salon des Rothschild et accueilli les bras ouverts à la fête de la bière dans le Nord. “La tête en smoking et le coeur en jeans”…

G.C

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