Les secrets du lièvre à la royale

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12NOV. 2020

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Les secrets du lièvre à la royale

12 NOVEMBRE . 2020

Écrit par Morgan Malka

Photographies par Esther Ghezzo

Mets considéré comme emblématique de la Haute Cuisine française, à nouveau en vogue sur les meilleures tables (ne vous en faites pas, la recette est à la fin de l'article), il est toutefois associé à une légende tenace. Celle des cuisiniers de Louis XIV, qui en vieillissant, avait perdu ses dents, et pour qui ils inventèrent un plat de gibier si tendre que le vieux soleil pourrait encore honorer ses fonctions de table. Vrai ou faux ? Petite histoire du lièvre à la royale.

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Le lièvre à la royale, retour en grâce sur les tables françaises

A moins que vous ne viviez au fin fond de la banlieue de Saint-Jean de Terre-Neuve-et-Labrador, vous n’avez probablement pas pu éviter d’entendre parler du Lièvre à la Royale. 33% des établissements étoilés en proposent aujourd’hui une version et ce chiffre augmente chaque année.

Nous pouvons remercier le concours organisé désormais tous les ans et qui aura fini de rendre ce mets presque inconnu, désormais incontournable. Depuis, la presse s’est unanimement ruée sur la promotion de ce plat encore méconnu il y a six ans et se répète plus ou moins d’un article à l’autre au grand dam de la vérité historique et des populations de lièvres en Beauce.

 

Pas de lièvre à la royale au menu du XVIIIe siècle

Il y aurait deux versions, celle d’Antonin Carême, roi des cuisiniers et cuisinier des rois qui officia au début du XIXe siècle et celle d’Aristide Couteaux, sénateur de la Vienne au début du XXe siècle. Les plus courageux mentionnent également la version d’un certain Ali Bab, Henri Babinsky plus exactement, célèbre gastronome du début du XXe siècle mais bien moins renommé que Curnonsky.

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Ali Bab, DR

Surtout, dans la quasi-totalité des cas, on vous parlera de l’histoire de Louis XIV et de ses dents, dont la dernière fut perdue à l’âge de 47 ans.

Le premier problème qu’il est indispensable de préciser pour ceux qui n’auraient pas encore compris, c’est que ni Carême, ni Couteaux, ni Babinsky ne sont évidemment contemporain de Louis-Dieudonné.

Les cuisiniers, (ou plutôt maîtres d’hôtel ou encore écuyers de bouche de son temps) sont pour les plus célèbres Varenne, de Lune, L.S.R, Massialot et cheminent entre une cuisine pas tout à fait françoise et françoise en devenir. On mange encore avec ses mains, même si d’innombrables traités recommandent de se servir d’une fourchette. Le gibier se fait cuire à la broche ou en potage.

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François Desportes (1661-1743), nature morte au lièvre mort, Paris, Musée du Louvre © RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet

Rien de contemporain à Louis XIV ne se rapproche d’une sorte de galantine ou ballotine de lièvre farcie de foie gras et de truffes. Ces deux derniers ne s’emploient d’ailleurs jamais de cette façon jusqu’au XIXe siècle. Le lièvre est boudé au profit des levreaux toujours embrochés et bien cuits.

En 1755, Menon dans son Souper de la cour mentionne bien un lièvre à la Périgourdine contenant des truffes -il serait dommage de s’en priver en Périgord- mais c’est le seul point commun avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Plus tard au temps de Carême, ni Jules Gouffé, ni Alexandre Dumas n’en pipent mot.

 

A la fin du XIXe siècle, l’apparition du lièvre à la royale

Enfin en 1899, Jeanne Savarin, rédactrice en chef de Cuisine des familles, donne une recette assez précise de notre lièvre : elle détaille même le sexe et l’âge de l’animal. Elle mentionne que le 29 novembre 1898, un lièvre « à la Royale » fut servi au sénateur Couteaux. Ce lièvre n’est pas roulé, mais ressemble bien à la charpie façon « Couteaux » que nous connaissons aujourd’hui (un lièvre très confit et effiloché couvert de sauce) mais qui n’intéresse en vérité pas grand monde car ne demande aucune technicité particulière.

Enfin, en 1900, Ali Bab donne la recette que nous connaissons. Chez ses contemporains, l’Escoffier de 1901 mentionne le plat mais sans foie gras et avec une sauce au vin blanc. Le Larousse de 1901 mentionne enfin une version similaire à celle de Babinsky.

 

Alors que viennent faire Louis XIV et Carême dans notre lièvre à la royale ?

Carême est l’un des inventeurs de la galantine, un animal désossé, farci et roulé sur lui-même, mais il ne cite aucune galantine de lièvre. Qui plus est, la galantine est servie froide, sans sauce et reste associée au monde des pâtissiers. La filiation pourrait être spirituelle … mais guère plus.

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Jan Weenix (1642-1719), Gibier mort, singe et fruits devant un paysage, 1709 © Paris, Petit Palais

Louis XIV incarne en France et dans le monde l’image même de la monarchie, mais si l’adjectif de « à la Royale » venait d’un autre roi, contemporain de Carême ou de l’après ? Période à laquelle les élèves du maître auraient pu s’inspirer des galantines pour créer un lièvre roulé capable de séduire la table de Louis XVIII, Charles X ou encore Louis-Philippe au XIXe siècle. Ces rois sont restés célèbres pour être des outremangeurs se régalant de compositions de viandes trop grasses où abondent gibiers, truffes et foie gras à l’excès.

Qu’il soit du temps du grand Roy, de Carême, de ses élèves, de Jeanne Savarin, Couteaux ou Babinsky, le lièvre à la Royale ne fut jamais un mets emblématique de la gastronomie française. Il fut discret, bourgeois sans doute, apprécié de la seule confrérie du lièvre et enfin incontournable depuis quelques années, mais il n’est très certainement pas l’œuvre des cuisiniers du Grand Siècle, ni le fruit de l’invention du génial Carême. Ce qui ne nous dispense néanmoins pas de s’en payer une tranche de temps en temps.

M.M

 

On s’attaque à la recette ? C’est par ici

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