L’extase, histoire d’une ambiguïté

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L’extase, histoire d’une ambiguïté

04 DéCEMBRE . 2020

Écrit par Laure Martin

Enivrement, ravissement, griserie, ivresse, excitation, béatitude… La liste est longue. Presque sans fin. Il existe une multitude de termes illustrant ce moment fugace de grâce qu’est l’extase. Mais qu’en est-il de sa représentation ? De tous temps, l’extase religieuse et l’ amour du sacré auront été mêlés, plus ou moins discrètement, aux recherches érotiques des artistes et de leurs mouvements. Alors, extase : religion, sexe et reproduction ? Après tout, la Vierge Marie n’apprenait-elle pas la nouvelle de la naissance du divin enfant durant une Annonciation extatique ? Plongée dans les méandres d’une extase ambiguë.

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La Sainte-Thérèse du Bernin en extase, à l’église Santa Maria della Vittoria, à Rome (1647-52)

De l’extase religieuse à l’extase charnelle

À en croire le dictionnaire, l’extase serait un ravissement de l’esprit qui par une contemplation intense, transporte un être hors de la vie des sens.

Cet état mystique privilégié où l’âme s’unit directement avec une force supérieure est tout d’abord représenté au sein d’innombrables scènes religieuses. Dans la tradition chrétienne, les thèmes de l’amour, du péché, de la féminité et du sacré qui entourent la figure de Marie-Madeleine n’ont jamais cessé d’inspirer les artistes.

Dans la tradition chrétienne, les thèmes de l’amour, du péché, de la féminité et du sacré qui entourent la figure de Marie-Madeleine n’ont jamais cessé d’inspirer les artistes.

Parfait exemple de la conversion, la courtisane à la vie dissolue décide de renoncer aux plaisirs éphémères de la vie pour se consacrer à une vocation spirituelle. Ainsi, particulièrement sensibles au conflit entre l’amour terrestre et céleste, les artistes du XVIe siècle s’inspirent-ils du célèbre récit de la Légende dorée de Jacques Voragine, selon laquelle Marie-Madeleine aurait vécu en ermite dans une grotte près d’Aix-en-Provence et que, chaque jour, elle aurait été transportée par des anges vers Dieu où elle aurait eu « le bonheur d’entendre, de [ses] propres oreilles, les chants des chœurs célestes », pour la représenter en plein envol divin.

Au XVIIe siècle, Caravage souligne pour la première fois la dimension ambiguë entre l’amour religieux et l’érotisme de la scène : une posture offerte, la tête renversée en arrière, les yeux à demi-clos et embués, le sein sur le point d’être dévoilé par sa chemise glissante…

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La Marie-Madeleine du Caravage (1606), collection privée.

C’est en 1606 que l’iconographie change littéralement et que Caravage souligne pour la première fois la dimension ambiguë entre l’amour religieux et l’érotisme de la scène. Sulfureuse, la figure biblique est représentée sur un fond sombre et uni, dans une posture offerte, la tête renversée en arrière, les yeux à demi-clos et embués, le sein sur le point d’être dévoilé par sa chemise glissante…

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Si ce motif apparait comme une véritable obsession dans l’œuvre de l’artiste – on dénombre pas moins de 18 copies -, cette nouvelle interprétation ouvre surtout la voie à ses contemporains et préfigure une des plus célèbres sculptures de l’époque baroque : L’extase de Sainte-Thèrese du Bernin.

 

Sainte-Thérèse du Bernin, l’extase érotique dans l’union avec Dieu 

Adieu la planéité de la toile de Caravage. À la fin du XVIIe siècle, le Bernin nous livre un travail en marbre majestueux prenant place dans une grande théâtralité parmi colonnes en marbre et rayons dorés de la Chapelle Cornaro de l’Église Santa Maria della Vittoria à Rome.

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« La sculpture du Bernin est bien, à l’évidence, une représentation érotique, orgastique de l’union de l’être tout entier avec Dieu, partenaire invisible et ravisseur » – Jacques Lacan

La composition est simple et efficace : l’ange, jeune et majestueux, vêtu d’une tunique vaporeuse tient dans sa main le trait qui vient transpercer le cœur de la Sainte. Et s’il y a bien une chose qui nous interpelle ici c’est l’intensité du sentiment qui transparait dans le visage de Sainte-Thérèse. Là, la bouche à moitié ouverte, les yeux – qu’on image – quasi révulsés : l’extase est palpable. Elle est sous nos yeux. Et cette expression si singulière du visage, alliée au positionnement du corps de Sainte-Thérèse, ont conduit certains observateurs, tel que Jacques Lacan, à y voir une représentation d’un moment d’extase sexuelle.

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L’extase et l’hystérie chez les Surréalistes

Et si nous évoquions le plus surréaliste des psychanalystes auparavant, ce n’est pas un hasard. En effet, la représentation de l’extase parcourt les mouvements et les époques mais il semblerait que cette thématique s’impose comme l’une des composantes phares du mouvement surréaliste.

À la fois outil de réflexion et motif de représentation, l’extase s’invite au sein de la réflexion des artistes, de leurs textes et de leurs œuvres… Il suffit de lire la première définition de la surréalité donnée par André Breton dans le Manifeste du Surréalisme, qu’il qualifie d’état rêvé, cherché, recherché et revendiqué par les artistes… L’extase n’est pas bien loin.

Dali Le Phénomène de l'extase-les-hardis-extase

Dali, Le phénomène de l’extase (1932-33) photomontage paru dans la revue Le Minotaure

« Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. » – André Breton

Bercés par la découverte des photographies de Regnard extraites de la première Iconographie de la Salpêtrière et par leurs attraits pour la médecine et la psychiatrie, les artistes surréalistes se penchent sur la représentation de moment d’extase et d’hystérie.

Entre la fascination et la glorification de ces moments suspendus, tout une nouvelle production se met en marche. La plus significative est sans nulle doute l’œuvre réalisée en 1933 par Salvador Dali, Le phénomène de l’extase (image à la une, ndlr).

 

Salvador Dali, à la recherche de l’extase infinie

Dans ce photomontage, composé de trente-deux découpages photographiques, organisés en spirale, l’artiste donne à voir un tas d’images variées : une photographie de Brassai — réalisée sur le motif de la Sainte-Thérèse du Bernin, tiens tiens — des visages de femme en extase, des têtes masculines, des sculptures, une épingle, une chaise, seize oreilles empruntées aux tableaux d’Alphonse Bertillon, une photographie d’un groupe dont l’homme porte une fausse barbe…

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L’unicité de l’oeuvre passe ici par l’identité expressive des visages, leur dernier moment de conscience de soi avant le laisser-aller total

Si la compréhension de cette photographie n’est pas évidente, malgré les oreilles qui, par leurs répétitions, invitent à une lecture rythmée de l’image, le regard bute sur la complexité des objets et des situations présentées. Mais l’unicité de l’œuvre passe avant tout par l’identité expressive des visages… qui présentent le tout dernier moment privilégié de la conscience de soi avant de parvenir à un total laisser-aller.

De cette composition complexe ressort une indéniable volonté de vouloir donner un aperçu des différentes formes d’extase. Et d’en souligner toutes les possibilités… qu’il ne tient qu’à nous de compléter.

L.M

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