Petite histoire du canard à l’orange

Cuisine

11MARS. 2021

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Petite histoire du canard à l’orange

11 MARS . 2021

Écrit par Morgan Malka

Photographies par Esther Ghezzo (image à la une)

Pendant des siècles, le canard à l’orange aura régalé la bourgeoisie et les gourmets du pays. Pourtant, si un mets emblématique de la cuisine française a presque aujourd’hui disparu, c’est bien lui. Son origine est floue mais sa nature ambiguë n’est pas sans rappeler le goût de la Renaissance... Italien, Espagnol ou Français ? Chronique d’un plat oublié.

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Le canard à l’orange, héritier de la Renaissance

Les Français ne sont pas connus comme étant adeptes d’une cuisine sucrée-salée. Ce goût nous vient d’ailleurs et s’il est apprécié pour son exotisme, il nous est difficile de le rattacher à nos coutumes. Pourtant un mets intrigue : c’est le canard à l’orange, qui ouvre une porte vers l’Orient et la cuisine d’un autre temps où nos ancêtres se régalaient de viandes toutes confiturées.

C’est qu’il vient de loin, le canard à l’orange ! Dès 1555 le chapon rôti à l’orange vermeille brille sur les tables princières. Les fruits sont alors scindés en deux catégories, acides et amers d’une part, sucrés de l’autre. La différenciation qui existe aujourd’hui entre les plats salés et sucrés n’est pas encore entrée en vigueur, les oranges sucrées sont appréciées pour ce qu’elles sont tandis que les fruits acides et amers sont conduits à la marmite. Cette passion pour l’acide est bien ancrée dans le goût français qui usera tour à tour de verjus, de vinaigre puis d’agrumes.

Il fut longtemps établi qu’avant l’arrivée de Catherine de Médicis en France, la cuisine du pays n’était faite que de légumes blets longuement bouillis et de viandes trop cuites. Légendes aujourd’hui réfutées de toutes parts. Néanmoins l’association du canard et de l’orange pourrait venir d’Italie. Des ouvrages tels que I tre trattani mentionnent déjà le caneton aux fruits. Les fruits employés en garniture sont ceux de la saison mais l’orange, le citron et les câpres sont là pour parachever la sauce.

Dans un même temps à Séville on se régale du canard Mut del Penedes avec les célèbres bigarades ou oranges de Séville. Deux influences qui vont largement marquer la cuisine du Grand Siècle en France, période à laquelle la recette s’affine et commence lentement sa transformation vers le goût que nous connaissons aujourd’hui.

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Avant le canard à l’orange, le canard à la bigarade

Le mot bigarade apparaît chez l’agronome Olivier de Serres dès 1600 : il le mentionne comme un arbre présent en Provence. Si aujourd’hui nous pouvons nous régaler de plus de 4000 variétés d’agrumes, à l’origine il n’y en avait que quatre ! Mandarine, cédrat, papeda et pamplemousse, la bigarade étant issue du croisement entre le pamplemousse et la mandarine.

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Après avoir voyagé depuis le sud de l’Himalaya jusqu’en Mésopotamie puis plus tard en Syrie, Sicile et enfin en Espagne, l’arbre s’implante en France. C’est justement cette bigarade qui sera employée pour la recette, un fruit amer qu’il n’est pas bon de manger tel quel mais qui apporte aux sauces tout un éventail de parfums et surtout un équilibre aujourd’hui disparu.

 

Au XVIIIe siècle, un canard à l’orange acide-amer

Le XVIIIe siècle voit naître le succès du canard à l’orange. A l’époque il n’est question que de caneton et si possible de Rouen. Aujourd’hui nous avons toujours affaire à des canetons mais que nous appelons simplement canard ou canette pour nous éviter d’avoir des états d’âme (il faut savoir que la plupart des canards que nous mangeons aujourd’hui sont tués à quelques semaines).

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François Martin dans la Suite des dons de Comus donne une recette de canard à l’orange dès 1742, le Dictionnaire portatif de cuisine de 1767 va lui emboîter le pas. Enfin Antoine Beauvilliers donnera une dernière version sans sucre en 1814. Car au XVIIIe siècle, la technique de la gastrique  (un caramel décuit avec du vinaigre), qui sera à la base de la sauce qui fait le plat, n’est pas encore connue et il n’est donc pas question de caramel pour équilibrer le goût. La sauce balance entre acidité et amertume …et on l’aime ainsi.

 

Les temps modernes du canard à l’orange

En 1930, le Larousse Gastronomique fixera la recette qu’on connaît : tout commence par la gastrique, puis l’orange qui remplace les bigarades et adoucit donc le plat, bien moins acide. En somme, on superpose les sucres ce qui fera sans doute le succès de la recette au début du XXe siècle.

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Le canard à l’orange deviendra un plat écœurant, trop sucré car privé de son équilibre d’autrefois. Le papera alla frutta des Médicis sera largement décliné en France. Figues, cerises, pêches, prunes, dattes, tout  y passe. Toujours en négligeant l’équilibre, celui qu’apportent les cerises aigrelettes ou les prunes vertes d’autrefois.

Résultat ? Le sucré canard d’aujourd’hui est devenu une pâle copie du brillant caneton d’alors comme le canard laqué version traiteur l’est du célèbre canard laqué pékinois. Heureusement, la production de bigarades alimentaires qui fut mise en péril longtemps par le néroli renaît de ses cendres et enfin, nous pouvons nous rapprocher du véritable goût de ce mets succulent de notre gastronomie.

M.M 


Le canard à l’orange façon Renards Gourmets (ou plutôt le caneton bigarade, vous l’aurez compris) : pour découvrir la recette, cliquez ici.

Notre conseil pour une sauce bigarade :
Faites caraméliser 10 g de miel de clémentinier, celui dont le parfum est le plus proche de l’orange. Ajoutez le jus de 6 bigarades de chez l’Agrumiste et faites réduire de deux tiers. Mouillez du jus de 4 oranges et faites réduire aux trois quarts. Complétez par 10 cl de jus de canard corsé et laissez mijoter pendant une demi-heure. Filtrez la sauce puis liez-la avec le foie et le cœur du caneton finement hachés. Laissez mijoter une dizaine de minutes jusqu’à épaississement de la sauce. Servez avec un caneton de Rouen braisé ou rôti.

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