Portrait d’artisan : Gilles Jonemann, créateur de bijoux

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28MAI. 2021

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Portrait d’artisan : Gilles Jonemann, créateur de bijoux

28 MAI . 2021

Écrit par Johanna Colombatti

Photographies par Nicolas Claris

Gilles Jonemann est créateur de bijoux. Nommé Maître d’Art, ayant collaboré avec Issey Miyake, Pascal Morabito ou encore Christofle, son style sculptural se démarque par une volonté farouche de révéler le précieux dans l’ordinaire et de sublimer les matériaux du quotidien par une vision unique de l’ornement. Glaneur hors pair, il puise dans la nature des fragments qu’il se joue d’assembler par des éléments modernes, transcendant la représentation classique du bijou… mais pas que, puisque cet artisan à l’esprit libre et aux mains d’or s’exerce aussi sur l’objet notamment avec Hermès pour Petit H. Rencontre.

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Si nous devions retracer votre parcours, qu’est-ce qui vous a conduit au bijou ?

C’est un peu une suite de hasards … A l’époque du lycée, je vivais à Aix en Provence et j’ai eu l’occasion de travailler sur un tournage de film : un western avec Fernandel qui se tournait à la Sainte Victoire. J’ai alors été fasciné par les décors, et cela a révélé mon envie de suivre des études d’art. J’ai commencé par les Beaux-Arts à Aix, puis j’ai découvert d’autres écoles et j‘ai décidé de m’inscrire à l’École Duperré à Paris pour devenir décorateur. Sans avoir fini l’école, j’ai commencé la ferronnerie dès 1965, auprès d’un proche dans le Luberon. Sur place, il y avait aussi un Allemand et un Danois qui faisaient des bijoux et qui m’ont donné envie de creuser…  

Donc, on peut parler d’une formation autodidacte...

Oui, absolument. J’ai acheté de l’outillage à un vieux bijoutier qui ne travaillait plus et j’ai appris tout seul. Quand on n’a pas une formation traditionnelle, c’est plus long mais on invente aussi beaucoup.  Et puis à la même époque, j’ai découvert la « Galerie du siècle » boulevard Saint Germain qui exposait les bijoux de Torun, des bijoux modernes, je n’avais jamais vu ça…  et c’était très inspirant !

La particularité de votre style réside dans l’emploi de matériaux inattendus, qu’est-ce qui vous attire dans ces matériaux ?

J’ai commencé par faire des bijoux en argent, parfois en or, et je me suis rendu compte que la destination de ces bijoux, c’était avant tout le corps. Cette contrainte anatomique est devenue une priorité.  Et puis je sertissais des pierres dures, mais j’en ai eu assez d’être tributaire des formes de pierres que j’achetais en boutique, rondes ou ovales. J’ai remplacé les pierres par des matériaux que je pouvais tailler moi même : de l’os, de l’ardoise, des pierres tendres… Autour de 1975, je cherchais d’autres matériaux, je suis allé vers le synthétique : plastique, plexiglas, acier inox… mais la nature a toujours été un fil conducteur !

La nature, le début d’une nouvelle quête ?

A cette époque-là, autour de 1968, l’attrait pour la nature s’est développé avec les voyages : les jeunes partaient en sac à dos, et moi je travaillais, j’obtenais alors mon poinçon de maître. Il y avait aussi à cette époque un vrai retour à la terre, les gens quittaient la ville pour le Larzac, le Lubéron, avec une forte attirance pour les choses manuelles et de nombreuses boutiques d’art artisanal ont vu le jour dans ce contexte. C’est là que j’ai commencé mes tournées avec ma 2CV pour vendre mes premiers bijoux.

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A l'atelier...

A quel moment diriez-vous que votre carrière a pris un tournant différent ?

Je cherchais à faire de nouvelles formes de création et plus j’avançais techniquement plus je faisais des choses élaborées, donc plus chères. Vers 1975, je participais souvent à des expos de groupe avec Dinh Van par exemple et il y avait toujours de la presse…

Est-ce grâce à cette couverture presse que vous avez pu avoir des collaborations avec des couturiers ?

Exactement, ma première collaboration importante, c’était avec Pascal Morabito (qui a développé les bijoux et les compressions de César) vers la fin 1970, elle a duré trois ou quatre ans.  J’ai aussi travaillé pour Van Cleef mais les modèles n’ont pas été commercialisés… Puis Christofle, une aventure très intéressante, ils ont eu envie de faire des bijoux dans les années 80.  Leur circuit de vente, c’était les arts de la table. J’ai eu un cahier des charges et des contraintes liées à cela et j’ai fait des bagues dont on pouvait très facilement changer la dimension, la pierre et caetera.

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Ces expériences vous ont donné envie d’enseigner.

Dans les années 1970, on a décidé, avec un groupe d’artistes-artisans, après de nombreuses sollicitations, de monter une école. La municipalité de Vitrolles nous fournissait le lieu, une vieille ferme superbe, mais on devait tout faire, tout financer.

La présidente, qui était la veuve du céramiste Jouve, nous a aidé à trouver les fonds nécessaires et Fontblanche est né avec 7 ou 8 ateliers. Cela a duré de 1977 à 1995 pour moi. J’adorais cela mais je ne connaissais rien à l’enseignement. J’avais lu un livre sur Josef Albers qui avait monté une école aux USA et il y avait un passage sur la pédagogie alors basée sur des questions et pas des réponses. C’est tellement plus intéressant, plus dynamique !

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Bague or, caoutchouc, altuglas noir, 1980.

Quel est le meilleur conseil que vous avez pu donner à vos élèves ?

Il ne faut pas attendre d’avoir des idées pour travailler, c’est en se trompant qu’on invente beaucoup de choses ! Et surtout au contact des outils, des matériaux.

 

« Il ne faut pas attendre d’avoir des idées pour travailler, c’est en se trompant qu’on invente beaucoup de choses ! »

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Et puis les voyages qui ont certainement influencé votre manière de concevoir le bijou ?

Les voyages sont venus grâce au Musée des Arts Décoratifs de Paris, où j’ai fait pas mal d’expositions collectives et une, personnelle, en 1990.

Il y avait dans ce musée un service de documentation grâce auquel j’ai été contacté par une ONG qui cherchait un créateur pour aider au développement de la bijouterie aux Seychelles en 1984. C’était ma première mission, mais aussi mon premier vrai voyage. Et comme j’ai toujours ramassé des choses par terre, j’ai trouvé là-bas de belles graines. Mais je crains de travailler avec des choses trop belles, qui se suffisent d’elles même.

Qu’est-ce qui est trop beau ?

Quand les formes des matériaux sont déjà parfaites, l’intervention est nulle. J’incite mes élèves à travailler avec des choses plus anecdotiques comme des allumettes. Essayer de trouver un rythme, parvenir à exprimer des choses, avec un matériau qui n’avait aucun intérêt à la base.   

Et le verre ?

Il faut le travailler… On trouve un verre poli par la mer, c’est un joli souvenir mais il est sec et avec un peu de silicone, on fait revivre la transparence.

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La contrainte du matériau vient aussi des collaborations, n'est-ce pas ?

Pas forcément, par exemple, dès 1982, j’ai commencé à travailler pour Per Spook, qui me proposait de faire des bijoux pour la Haute Couture. Il me donnait un thème par semestre : la photo, les Indes, le papier mâché, et j’ai fait cela pendant 8 ans, 800 pièces uniques. Nombre de ces pièces ont été montrées dans l’exposition qui m’était consacrée au MAD, à l’initiative du conservateur de l’époque, François Mathey. Elles étaient installées sur un réseau de fils de nylon et attachées avec des pièces à linge, à côté de bijoux faits pour des galeries, c’était très amusant !

C’est grâce à cette exposition que vous avez rencontré Issey Miyake ?

Oui exactement, il avait sa grande exposition au MAD en même temps que moi. Il m’a donné rendez-vous au Bristol, et il m’a dit « je n’aime pas les bijoux mais j’ai bien aimé votre exposition » (rires). Sans parler de travailler ensemble, on a évoqué nos voyages, nos passions et on s’est revus… Puis il a fallu une troisième rencontre pour qu’il me dise “Fais ce que tu veux, je verrai plus tard !” Je me suis rendu compte que le cahier des charges, c’était toutes les discussions qu’on avait eues sur le nomadisme, les cultures…

Je commençais à bien connaître son travail : pour moi il faisait des vêtements pour des personnes qui viennent du passé et qui vont vers le futur, et moi je devais faire leur bagage. J’ai fait des bijoux qui se portaient en bandoulière comme des arcs, des bagages symboliques. Une collaboration sur une seule collection, mais une expérience fantastique !

 

« Issey Miyake m’a dit “je n’aime pas les bijoux, mais j’ai aimé votre exposition”. Pour sa collection, j’ai dessiné des bijoux à porter en bandoulière, comme des bagages symboliques. Une expérience fantastique. »

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Et que s’est-il passé après cette collaboration ?

Après cela, j’ai fait beaucoup de voyages grâce à une ONG qui m’a envoyé faire des missions dans l’Océan Indien : Madagascar, Maurice, la Réunion et puis un jour la ministre de la culture du Mali m’a contacté. Elle me proposait de l’aider à développer l’artisanat. L’idée était d’inciter les artisans à avoir un regard sur toutes les formes de leur culture, et faire émerger un travail qui dit tout cela.

Quelles ont été les conséquences sur votre travail de toutes ces missions ?

C’est en voyageant que j’ai découvert d’autres méthodes de travail auprès des artisans, des techniques comme le travail de l’écaille en 1984 aux Seychelles…

A quel moment vos bijoux prennent-ils un tour plus exotique ?

Quand j’ai beaucoup voyagé et quand j’ai commencé à travailler pour la galerie Naïla de Monbrison, à la base une galerie de bijoux ethniques, passée au bijou contemporain. Tous les deux ans, nous faisions une exposition personnelle puis j’ai arrêté ce rythme au profit d’expositions collectives car j’ai eu une opportunité avec Hermès que je ne pouvais pas refuser…

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Quels sont les contours de cette collaboration avec Hermès ?

J’ai rencontré la directrice des bijoux fantaisie chez Hermès qui m’a proposé de faire des recherches sur des éléments de cristal. Puis en voyant la vaisselle, j’ai pensé à des colliers que je pourrais faire avec des assiettes accidentées. Ils m’ont donné le feu vert, et j’ai fait deux essais avec ces morceaux. Pascale Mussard qui avait vu mon travail, m’a donné rendez-vous à la Villa Noailles pour me parler de son projet Petit H et de sa volonté de faire quelque chose de toute cette matière à réemployer. J’ai eu un contrat de recherche sur deux ans qui a précédé l’invention de Petit H et j’ai fait 135 pièces dont un certain nombre ont été sélectionnées pour être présentées à la direction générale en exemple pour le projet.

C’est grâce à cette collaboration avec Hermès que vous avez découvert le travail sur la laque ?

Oui, il y a quatre ans nous sommes allés au Vietnam avec ma femme et j’y ai rencontré Christian de Ruty qui fait les bijoux en corne laquée pour Hermès.  Il a racheté une manufacture de laques du côté de Saïgon et a monté des boutiques, Hanoia, qui propose du mobilier, objets d’art et bijoux. Une nouvelle collaboration est née autour de l’objet et j’ai proposé de greffer sur ses pièces contemporaines des éléments de l’histoire de l’artisanat vietnamien. J’ai commencé à réfléchir à la fonction pratique des objets mais aussi à la fonction contemplative qui est réelle. Comme la Joconde, à quoi sert la Joconde ? A faire rêver, à intriguer, c’est ça sa fonction !

 

Questions par Johanna Colombatti | Propos recueillis par Camille de Foresta à l’atelier, avec nos chaleureux remerciements

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