Portrait : Yoyo Maeght,

Enfant du Surréalisme

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11FÉV. 2022

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Portrait : Yoyo Maeght

Enfant du Surréalisme

11 FéVRIER . 2022

Écrit par Elsa Cau

Photographies par Cosima Menier

Elle nous reçoit chez elle, dans ce grand loft lumineux aux portes de Paris. En un grand éclat de rire, elle nous raconte sa saga familiale, elle qui est née dans une famille devenue l’un des plus grands noms du monde de l’art. De Paris à Saint-Paul-de-Vence, Yoyo Maeght nous a entraînés dans cette fabuleuse aventure de l’art moderne, qu’elle perpétue aujourd’hui à sa manière, éditrice d'art indépendante et commissaire d’exposition au service de « ses » artistes contemporains. Avec une vision bien spécifique. Rencontre.

 

Une enfance chez les Maeght, galeristes, éditeurs d’art, mécènes

Yoyo. Rien qu’à ce surnom devenu son prénom d’usage courant, on sait que le destin de Yoyo Maeght ne pouvait être anodin. Pourquoi Yoyo ? Dès le début de son livre, La Saga Maeght, paru en 2014 et dans lequel elle retrace l’histoire de sa famille, galeriste, éditrice d’art et mécène, (sans oublier ses conflits et déchirements) Yoyo Maeght en fournit l’explication : le poète Prévert, grand ami de la famille, estime qu’un enfant ne doit pas porter de prénom à référence religieuse « qu’il se traîne ensuite toute sa vie » nous dit dans un sourire Françoise, devenue pour tous, Yoyo. « Au tribunal, pendant mes années en tant que magistrate, j’ai bien essayé  d’utiliser mon vrai prénom. J’avais demandé à le reprendre par volonté de respect et pour éviter d’éventuels questionnements à réception des convocations. Mais tous m’appelaient Yoyo de toute façon ! »

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Prévert, Yoyo Maeght et ses sœurs le voyaient presque tous les jours. « J’étais une enfant heureuse en société, curieuse aux expositions, avec l’envie, déjà de parler à tout le monde. » Chez son parrain, propriétaire du mythique hôtel-restaurant la Colombe d’Or à Saint-Paul-de-Vence, elle grandit élevée par « Miro, Chagall, Braque, Clouzot, Ventura et Montand, Malraux ! » La fondation ? C’est Ella Fitzgerald qui y chante pour l’inauguration. Ils y assistent tous, eux qui sont « les gosses de la Colombe d’Or », cette « marmaille dont personne ne s’occupait vraiment, mais dont tout le monde se souciait. Livrés à nous-mêmes, sans aucune surveillance, on a côtoyé toutes ces inspirations vivantes. Elles nous ont toutes appris quelque chose. »

« Beaucoup d’artistes n’ont pas d’enfant. Alberto Giacometti, Fernand Léger, Georges Braque, André Derain… Et quand ils en avaient, ils ne s’en occupaient pas. Mais ce n’est pas parce que leurs enfants, ce sont leurs œuvres, comme on l’entend souvent. C’est une relation à l’immortel, à la postérité. » Quand ses grands-parents, Marguerite et Aimé Maeght, perdent leur fils Bernard, Braque et Léger leur rendent visite. « Ils disent à mon grand-père : ‘vous avez touché à la vie, pas nous. C’est notre échec. Maintenant, faites quelque chose d’immortel.’ C’est ainsi qu’est née la Fondation Maeght. »

Yoyo Maeght décrit la célèbre fondation -la première du genre en France- créée par son grand-père, comme une anti-nostalgique, une immortelle : « quand je vois un tableau de Miro, je ne fonds pas en larmes en pensant au fait qu’il n’est plus. Il est bien là, justement, éternellement vivant par son œuvre. Quand on est face à un tableau, on ne ressent aucune nostalgie. Cela tient presque du surnaturel. Un roman peut provoquer une certaine mélancolie, oui, une lettre, un écrit. Mais une œuvre ? Jamais. On la situe dans une époque, mais elle reste intemporelle, contemporaine. »

Aimé Maeght, lui-même orphelin, aura passé sa vie à se construire des familles. Sa famille de chair et de sang, sa famille d’art. « La famille, il ne l’a pas vraiment eue avec ses fils. Parce que Bernard, qui était très sensible aux arts, est décédé jeune. Parce que les relations avec mon père, son autre fils, étaient complexes, terribles même. » Très vite, l’affection des grands-parents Maeght se porte sur leurs petits-enfants, Isabelle, Florence et Yoyo, tout particulièrement. Le souhait profond de transmission, surtout.

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La Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, l’aventure de l’art moderne

« Papy a eu une relation très particulière avec ses petits-enfants. C’est aussi parce qu’à ce moment-là, il avait quelque chose à transmettre : non seulement la galerie, les éditions et la collection personnelle, mais en 1959, l’année de ma naissance, la fondation qui est en cours de création. » Treize ans avant le Centre Pompidou, et bien avant les FRAC ou les foires d’art contemporain, la Fondation Maeght est une incroyable aventure : le premier musée en France construit avec une architecture dédiée (a contrario d’un bâtiment réutilisé), une collection permanente privée et des expositions temporaires, une bibliothèques, des évènements comme les Nuits de la Fondation avec ateliers et concerts…

 

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Une maison existe déjà sur le terrain, avec trois chambres pour les trois filles -le petit frère, Jules, arrivera dix ans plus tard- devenue depuis la bibliothèque de la fondation. « Le soir de l’inauguration, j’ai cinq ans et je suis d’ailleurs persuadée que la Fondation est l’agrandissement de notre maison ! » Aimé Maeght ordonne que ses trois petites-filles se tiennent à l’avant de l’assemblée, et que l’une d’entre elles, Florence -sept ans- déclare la Fondation ouverte. « On n’imagine personne de nos jours faisant l’ouverture d’une fondation avec des enfants. C’est une symbolique très forte : Aimé Maeght témoigne, il affirme que cette maison est celle des générations à venir. »

Un message qui transparaîtra toujours chez le marchand-mécène : lors de sa première interview filmée (à retrouver ici) à l’occasion de l’inauguration de la Fondation Maeght, Aimé Maeght se tient debout, devant un tableau de Fernand Léger, ses deux petites-filles Yoyo et Florence serrées l’une contre l’autre devant lui. « Il a fait de nous des éponges, affirme Yoyo, nous a habituées à recevoir tout ce qu’on pouvait obtenir. Les artistes me nourrissaient en conscience. On n’était pas là en spectatrices. » L’éditrice et commissaire d’exposition se souvient d’un concert de Duke Ellington « lors d’un jour normal d’ouverture, pas spécialement destiné à un public trié sur le volet ». Le musicien avait improvisé un Blues for Miro. « C’était une cohésion des arts, un moment sublime. A la fin, Miro m’a demandé si j’avais compris ce qui venait de se passer. Il m’a expliqué : ‘Duke utilise le même instrument que Mozart, j’utilise la même peinture que Rembrandt. Tu useras des mêmes mots que Prévert. Ce n’est pas l’instrument qui fait l’art.’ J’avais sept ans. » Un instant de grâce.

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Yoyo Maeght parle de l’artiste espagnol avec une tendresse toute particulière, évoquant « la douceur de son regard », précisant qu’elle le considérait un membre de sa famille, « comme un oncle. » Miro avait fabriqué une grande céramique pour le jardin de la Fondation. « Un jour, un an plus tard à peu près, ils l’ont posée sur un bateau et ont navigué au large d’Antibes pour l’offrir à la mer. Cette démarche que, de nos jours, on nommerait sans doute conceptuelle, appartenait bel et bien au Surréalisme. Rien n’était fait pour les médias, pour l’attention ou la publicité ! C’était un hommage à la mer. » Depuis, récupérée par la ville après que des plongeurs l’ont en partie cassée, elle trône sur la terrasse du Musée d’Antibes. « J’ai en moi ce grand geste artistique, déconnecté du marché, de la médiatisation. Un acte pur et gratuit. »

 

Des galeries aux NFT : tribulations du marché de l’art contemporain

Et le marché, justement ? Comment appréhender le monde artistique quand on a connu les plus grands, « l’extrême, Calder et Miro qui font du monumental à l’époque où aucun parc de sculpture n’existe encore » ? « J’aime accompagner les artistes, comme Aki Kuroda depuis des années, et Thierry Lefort plus récemment. J’aime être l’artisan d’une part de leur travail, celle qu’ils ne peuvent ni n’ont à faire. Ce qui me dérange, en revanche, c’est qu’on met l’art à toutes les sauces ! Tout le monde est artiste, la moindre personne prise d’un soudain mal-être nous livre une performance. La motivation financière explique beaucoup de choses. Mais de toute façon, on ne peut pas tout assimiler, il y a trop de propositions. » Yoyo Maeght, qui, longtemps, fut projetée sur le devant de la scène, la faute aux nombreux conflits familiaux – allant jusqu’à sa démission de la Fondation Maeght, en 2011- a pris l’habitude de ne pas mâcher ses mots.

Pour celle qui « ne croit plus tellement au modèle de la galerie, sauf de la très importante ou de la très petite, qui ‘sort’ les artistes », un exemple, ou plutôt une personnalité, fait toutefois figure d’exception : Emmanuel Perrotin. « Il est celui qui me semble être le plus proche de mon grand-père. Je pense qu’ils ont une vision commune : celle d’avoir compris qu’une galerie ne sert pas à vendre des œuvres mais à faire la promotion des artistes. Mon grand-père, en 1976, expose au Grand Palais de très grands formats de Miro, au Petit Palais des sculptures de l’artiste, au Musée d’Art Moderne son œuvre gravé : trois expositions en même temps ! Il a compris que sa galerie servait de bureau de communication, et qu’il peut utiliser d’autres endroits majeurs pour présenter les œuvres de ses artistes. C’est exactement, de nos jours, ce que fait Emmanuel Perrotin. Il possède également ses propres éditions, son magazine, sa librairie. Il est complètement de son époque, il se sert de tous les outils contemporains. Et puis, c’est le petit frère que j’aurais adoré avoir, admet-elle. Gentil, bosseur et audacieux, comme mon grand-père ! »

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Hyperactif aussi, comme les Maeght, se dit-on en grattant furieusement le papier, tandis que Yoyo Maeght est déjà passé au sujet de l’ingérence de l’État dans les affaires de l’art contemporain. « J’aimerais que disparaisse le Ministère de la Culture ! Qu’il soit remplacé par un Secrétariat d’État à la Préservation du Patrimoine. La confusion entre argent privé et public désoriente les Français. Quand le Centre Pompidou ou des FRAC acquièrent des performances, des vidéos ou une robe en viande, c’est l’argent public qu’on place dans de l’expérimental. Cela ne fait aucun sens. Occupons-nous de patrimoine ! Regardez toutes ces églises en ruines, ces musées en région qui possèdent des chefs-d’œuvre dans leurs réserves trop peu sécurisées, voilà l’urgence. »

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Elle oppose à l’étatisation de l’art contemporain sa défense « par des individus, pas par des groupes. S’il y avait eu une commission pour le bâtiment de la fondation Maeght, c’est Le Corbusier qui aurait été choisi ! Mais papy a choisi -seul- Josep Lluis Sert… Le génie de mon grand-père était de n’obéir à personne. » Un tempérament dont semble avoir hérité Yoyo Maeght, qui continue, de son côté, d’éditer les artistes qu’elle défend : on ne naît pas Maeght pour rien, dans une famille d’imprimeurs. « J’adore le papier. J’aime éditer, j’aime l’estampe. Tout le monde peut se servir du papier pour créer, d’un enfant avec sa cocotte à Picasso. » Touche-à-tout et pleine de surprises, elle qui s’intéresse depuis quelque temps déjà aux NFT (Non Fungible Token, comprendre un jeton non interchangeable, c’est-à-dire unique. Le NFT est un fichier numérique auquel est attaché un certificat d’authenticité numérique, ndlr). « Vous ne dormez jamais ? » lui demande-t-on. « Non, je suis une micro-dormeuse, comme ma mère et mon grand-père. » Véritablement surréaliste.

E.C


Pour en savoir plus sur le travail de Yoyo Maeght et suivre ses actualités, rendez-vous sur son site web.

Et n’oubliez pas de lire La Saga Maeght, éd. Robert Laffont, Paris 2014.

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