Contes hardis : Porfirio Rubirosa,

Séducteur, voleur, menteur, escroc : le roi des play-boys

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21JUIN. 2022

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Contes hardis : Porfirio Rubirosa

Séducteur, voleur, menteur, escroc : le roi des play-boys

21 JUIN . 2022

Écrit par Romain Jubert

Le poivrier rotatif de bel augure, posé en majesté au côté de petites salières au bistrot, porte le nom d'un immense play-boy : Rubirosa. Pourquoi ? A votre avis... Beau comme un astre, il a tenu dans ses bras les plus belles actrices du monde, les plus riches héritières. Voici l'histoire singulière d'un homme que la vie a couvert de femmes.

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D.R

Le 5 juillet 1965, à 7 heures du matin, le soleil est déjà haut dans le ciel de Paris. Un bolide gris métallisé fonce dans les rues désertes. Au volant, Porfirio Rubirosa, Rubi pour les intimes, 56 ans, est fatigué par les rires, l’alcool et les corps qu’il vient de serrer toute la nuit. Cent trente kilomètres-heure à l’entrée du bois de Boulogne. Les cylindres pétaradants du cabriolet Ferrari 250 GT font taire le chant des oiseaux, mais n’empêchent pas le sommeil de gagner le conducteur. Sa vision se brouille. Il lutte, épuisé, dort à jamais. Marié cinq fois, il n’a pas eu d’enfant. Comme Pauline Bonaparte, les enfants, il a préféré «en commencer cent que den finir un seul». Pourtant, s’il n’avait pas été stérile, il aurait pu en avoir avec Marilyn Monroe, Ava Gardner, Rita Hayworth, Soraya Esfandiary, Joan Crawford, Veronica Lake, Kim Novak, Judy Garland, Eva Peron, Dolores del Rio, Eartha Kitt… par des décennies de fêtes.

La veille, avec son équipe, il a gagné la finale d’un tournoi de polo. Toute la nuit, ils ont fêté la victoire. Un coup de volant brutal, le conducteur perd le contrôle, le bolide s’écrase contre un arbre. Porfirio Rubirosa, ce playboy légendaire « au nom pourpre et scintillant », comme écrivait Modiano, meurt sur le coup. Avec son décès, c’est la plus belle arme de séduction massive de l’après-guerre qui s’en va.

 

L’enfance du tigre

Porfirio Rubirosa naît le 22 janvier 1909 en République Dominicaine. Il grandit à Paris où son père, général, est nommé diplomate. Très vite, il s’avère plus attiré par l’école de la rue que par celle de la République, préférant les exercices pratiques dans un Montmartre plein de musique et de plaisirs, à la théorie des livres.

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Avec sa dernière épouse, Odile Rodin, à l’hôtel Eden Roc. © Photo Daily Mail/REX/Shutterstock (1738766a)

 

« Je ne mintéressais quau sport, aux filles, aux gens célèbres. Pour faire court : à la vie »

constate-t-il dans ses mémoires. Au grand dam de son père, le jeune Porfirio se perd donc avec délectation auprès du « peuple ardent des corps vendus aux baisers de la nuit », comme disait Aragon. Et ça lui plaît. Beaucoup. Trop. A dix-sept ans, il ne veut rien apprendre d’autre. A bout d’arguments, son père le réexpédie dans son île natale pour étudier le droit.

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Porfirio Rubirosa en 1963. © Sipa. Press/REX/Shutterstock (546718c)

Très vite, il abandonne les études et rejoint l’armée. Son énergie, ses capacités athlétiques et son charisme impressionnent Rafael Leonidas Trujillo Molina, le dictateur sanguinaire responsable du massacre du Persil, où périrent vingt mille hommes, femmes et enfants haïtiens travaillant dans les plantations de canne à sucre du pays.

Rubi, lui, remarque sa ravissante fille, Flor de Oro. Quoique plus âgé qu’elle, il lui joue la sérénade, la séduit et l’épouse en 1932. Ce mariage ouvre à Rubirosa les portes de la diplomatie dominicaine : il est nommé diplomate en Allemagne, à Berlin, en 1936. Alors qu’une électricité mortifère parcourt un peuple suspendu à la moustache d’Hitler, Rubi butine et se repaît d’aventures nocturnes.

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Avec Flor de Oro, fille du dictateur Rafael Leonidas Trujillo Molina, première épouse de Rubirosa. DR

Bien qu’il soit très peu dans son ambassade, Trujillo le trouve parfait : « Cest un excellent diplomate parce que les femmes laiment et que cest un grand menteur. » Flor s’agace. Nommé ensuite à Londres, il est présent lors du sacre de George VI. En assistant à la grande parade de la flotte britannique, peut-être a-t-il une pensée pour « le père de la Royal Navy », Henry VIII, ce roi qui aimait tant les femmes, parfois si cruellement… Flor s’énerve. Lassée de passer des nuits blanches à l’attendre, lassée d’entendre la clé dans la serrure au petit matin, lassée de retrouver les cols de ses chemises souillés de rouge à lèvre, elle fait ce que font souvent les femmes trompées : elle le quitte. Et inscrit en 1938 le premier divorce sur le tableau de chasse de Rubirosa.

 

Le fauve est lâché

Presque malgré lui, Trujillo est contraint de le virer. La roche Tarpéienne est décidément proche du Capitole : Rubi se retrouve sur la paille, raide comme un passe-lacet. Alors, quand un ami joaillier lui demande de rapatrier des bijoux d’Espagne, Porfirio n’hésite pas. Et qu’importe que le pays soit en pleine guerre civile. Rubi n’a peur de rien. Il se rend à Madrid, récupère les bijoux, mais en « égare » une partie en chemin, arguant qu’il a été victime d’une embuscade, bien que sa voiture ne porte aucun impact de balle. A-t-il dérobé pour 180 000 dollars de bijoux ? L’histoire ne le dit pas, mais le doute persiste.

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Porfirio Rubirosa en voiture avec Barbara Hutton. © Getty Images. Bettmann, Betmann Archive.

Rubi en veut toujours plus et n’en est pas à une compromission près. S’enrichir est son obsession. Qu’importe si, pour s’enrichir, il vend à des prix stratosphériques des visas dominicains à des Juifs qui veulent fuir les persécutions nazies, puis se retrouve un temps dans les geôles de l’occupant. Rubirosa profite d’une visite en France de son ex-beau-père de dictateur pour retrouver ses bonnes grâces, en lui concoctant une tournée des grands ducs mémorable dans les clubs enfumés et la nuit parisienne. Trujillo, ravi, le reprend dans sa diplomatie.

 

Les années vert de gris

1941, l’année du décret Nuit et brouillard qui prévoit la déportation pour tous les opposants et ennemis du Reich. C’est aussi l’année de la sortie de Fantasia sur les écrans français. Porfirio papillonne comme un Mickey au milieu des SS. Il rencontre l’actrice Danielle Darrieux, sa voisine, dans les beaux quartiers de Neuilly. Ils deviennent vite très proches et se marient en 1942. « Il était divin, se souviendra-t-elle bien plus tard. Beau comme un dieu, on sortait tous les soirs. Il me disait : “Mets ta robe de soirée”, et nous allions danser.»

Nommé chargé d’affaires à l’ambassade de la République dominicaine en France, Rubi est théoriquement en poste à Vichy, mais préfère l’ambiance parisienne à celle de la ville d’eau. « C’était une époque tellement folle, poursuit l’actrice amoureuse. Chez Jimmy, lorchestre de Django Reinhardt jouait et Henri Salvador chantait. Shéhérazade était un autre de nos endroits préférés. Puis nous allions dîner chez Maxims ou au Ritz. Est-ce quil y avait des Allemands en uniforme? Je ne sais pas et je ny prêtais pas attention.»

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L’actrice française Danielle Darrieux et Porfirio Rubirosa dans les années 40. DR

Quand la République dominicaine rejoint le camp des Alliés, Rubirosa est fait prisonnier à Baden en Allemagne. Prête à tout pour retrouver l’homme qu’elle aime, Danielle accepte un séjour à Berlin pour assister à un concert de soutien aux troupes allemandes. En contrepartie, elle obtient un laissez-passer pour aller rejoindre Rubirosa et reste huit jours à ses côtés. «De retour à Paris, les rumeurs ont commencé, dira-t-elle dans LExpress. Les gens murmuraient des horreurs dans mon dos, maccusant de collaboration. Mon Dieu ! Je n’étais quune femme amoureuse. A son retour, nous sommes partis en zone libre, avant d’être installés à Megève en résidence surveillée. Nous navions pas le droit de sortir. C’était une période douloureuse. Des hommes et des femmes disparaissaient, et on ne savait pas encore quils étaient déportés… Mais j’étais avec lhomme que jaimais, alors… Jaurais fait nimporte quoi pour le sauver.» Rubirosa finit la guerre blessé, trois balles dans le corps. Victime d’un guet-apens tendu boulevard Malesherbes par des résistants qui veulent punir un couple trop choyé dans les années vert-de-gris ?

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Danielle Darrieux accepte d’assister, à Berlin, à un concert de soutien aux troupes allemandes, pour obtenir un laissez-passer et retrouver pendant huit jours Porfirio Rubirosa. DR.

Dolce Vita à l’American Tobacco

Après la guerre, Porfirio suit sa star de femme sur un tournage à Rome. Une journaliste américaine veut interviewer le couple. Elle s’appelle Doris Duke. Très grande, laide et mal habillée, elle est assez loin du canon des conquêtes habituelles de Rubi. C’est pour- tant pour elle qu’il va quitter la Darrieux. La preuve que l’amour ne se résume pas à la simple attirance de deux physiques? Pas du tout. Car ce que Porfirio Rubirosa trouve d’absolument craquant chez ce grand cheval de Doris Duke, c’est son compte en banque. Elle est la fille de James Buchanan Duke, le fondateur d’American Tobacco, ce qui fait d’elle la femme la plus riche du monde. Comme il l’avouera plus tard: «La plupart des hommes ont pour ambition de gagner de largent, moi cest de le dépenser.»

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Porfirio Ruborisa et Doris Duke. DR

Doris sait que Rubi est un coureur de dot et ses avocats le savent plus qu’elle encore. Ils exigent qu’elle lui fasse signer un accord prénuptial. Elle lui tend le document quelques instants avant le début de la cérémonie. Porfirio prend ça comme une insulte à sa grande probité. Blessé et furieux, il se saoule, part directement après les consentements et se refuse à Doris durant le voyage de noces. Pas le meilleur départ pour un mariage d’amour.

Les mois passent. Un jour à Cannes, Doris l’envoie acheter des cigarettes. Il tombe sur une ex et ne revient que trois jours plus tard. Pour le garder, elle lui offre un hôtel particulier à Paris, des poneys de polo pour qu’il s’occupe, des voitures de sport pour qu’il se conduise mieux, et même un bombardier B25 converti en avion privé pour qu’il ne s’envoie pas en l’air. Mais Rubi est un infatigable prédateur. Alors, on a beau être un cheval, l’infidélité de Rubi finit par peser et Doris le quitte à son tour. Troisième divorce.

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Avec Doris Duke. DR

Rose rouge, beurre noir et riviera

Grand fauve mangeur de femmes courant les cocktails pour fondre sur la chair fraîche, Rubi déteste qu’on lui résiste. C’est Zsa Zsa Gabor qui dévoile aux lecteurs des premiers journaux à scandale le versant noir de sa personnalité. La jeune star est mariée. Rubi tombe sous le charme. Il fait livrer des centaines de roses rouges dans la chambre d’hôtel new-yorkaise de l’actrice. Il s’installe dans la suite voisine… Quelques jours plus tard, il s’affiche avec les plus beaux yeux d’Hollywood. Mais Zsa Zsa lui fait comprendre que, bien que sensible à ses charmes, elle ne quittera jamais son mari. Las, Rubi est du genre irritable. Un soir, dans un accès de folie, il frappe la jeune femme. Zsa Zsa est du genre éruptive. Elle convoque immédiatement une conférence de presse et l’accable : «Si en espagnol Rubirosa veut dire rose rouge, pour moi, ce sera à jamais œil au beurre noir. »

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Avec Zsa Zsa Gabor. DR

 

« La plupart des hommes ont pour ambition de gagner de l’argent, moi c’est de le dépenser »

En 1953, humilié et en manque d’argent, Rubi part à la conquête de Barbara Hutton, l’héritière de la chaîne de supermarchés Woolworth. Un mariage éclair et très rentable. Leur union dure 75 jours et lui rapporte 3,5 millions de dollars. Les poches pleines, il reprend sa vie de play-boy entre Monaco et Capri, plages et sommets, formes et courbes. De Rita Hayworth à la reine Soraya d’Iran, le tigre saute de lit en lit. Un jour Frank Sinatra, toujours épaté par la grande décontraction de Porfirio, lui demande : «Rubi, avez-vous un travail à temps plein ? » Porfirio répond : « Oui, les femmes.»

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En 1955, avec Zsa Zsa Gabor. © Getty Images, Bettmann, Bettmann Archive.

Premier grand play-boy, il soigne son allure avec la précision d’un typographe suisse. Il impressionne beaucoup son ami Sammy Davis Jr. qui avoue : «Je me suis toujours soucié des vêtements, et je fais absolument tout pour bien paraître. Mais au côté de Rubirosa, jai le sentiment d’être tombé dun camion dordures. »

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En plein match de polo. DR

 

Le repos du guerrier

En 1956, Rubi rencontre Odile Rodin. Elle a vingt- sept ans de moins que lui et du caractère. « Jai beau- coup entendu parler de vous, lui dit-elle d’emblée. Jamais en bien.» Ils se marient dans les semaines qui suivent. Elle devient sa cinquième (et dernière) épouse. En 1961, Trujillo est assassiné. Porfirio cornaque un temps Ramfis, le fils semi-psychopathe du dictateur, pratiquant un lobbying intense pour les intérêts dominicains et essayant de convaincre les Kennedy que son régime est un rempart contre le communisme dans les Caraïbes.

Cette même année, la présence de Rubi et d’Odile est attestée sur le Honey Fitz, le yacht de John Fitzgerald Kennedy, en compagnie de Frank Sinatra et Peter Lawford. Mais le rejeton ne reste que très peu de temps au pouvoir. La dynastie Trujillo est enfin remplacée par une démocratie fragile.

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DR

La carrière diplomatique de Rubirosa prend fin. Il a 50 ans. Il s’assagit. Il lui arrive même certains soirs de rester à la maison, alors que sa jolie Odile sort s’encanailler. «Toute ma vie, confie-t-il, jai contrôlé les femmes. Toutes. A lexception de celle-là. Elle, je lai dans la peau.» Il vit neuf années de grand bonheur jusqu’à ce jour de juillet 1965 où un bolide gris métallisé file vers le bois de Boulogne à travers les rues désertes.

Ce magnifique égoïste, voleur, menteur, escroc semble avoir traversé le siècle avec l’insouciance d’un enfant dans une salle de jeux. Il n’aura pas laissé de descendants, pas de fondation. Juste une quille, remplie de poivre : le rubirosa.

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Odile Rubirosa. DR

 

Le Rubirosa : Le poivrer XXL

Son mariage avec Danielle Darrieux, sa réputation d’infatigable bambocheur, ses conquêtes, ses matches de polo, sa personnalité joyeuse et son sourire Email Diamant valurent toute sa vie à Rubirosa les honneurs des gazettes. Aussi, quand Truman Capote, le grand ami de Marilyn, révéla que Rubi était muni d’« un café au lait de 11 pouces [28 centimètres], aussi large que le poignet dun homme », ça s’esbaudit dans le gotha. D’autant que Doris Duke, sa troisième épouse, en rajouta une couche en se souvenant qu’ « il avait le plus magnifique pénis que jai jamais vu : 6 pouces [14 centimètres] de circonférence… un peu comme une batte de baseball avec la consistance dun ballon de volley pas complètement gonflé. »

« Il avait le plus magnifique pénis que jai jamais vu : 6 pouces [14 centimètres] de circonférence… un peu comme une batte de baseball avec la consistance dun ballon de volley pas complètement gonflé. » – Doris Duke

 

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Avec Odile à un dîner, DR.

Plus que ses succès diplomatiques, cette partie de sa personnalité fera la gloire de Rubirosa. C’est grâce à elle que des garçons de café, amusés de le croiser au petit matin avec une femme à chaque bras, décidèrent de rendre hommage à cette légende vivante en donnant son nom au moulin à poivre de grande taille. Rubirosa devint un anthroponyme, un nom propre qui se transforme en nom commun. Toujours mieux que de laisser à la postérité une poubelle ou un bottin.

R.J

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