À Paris, Chiberta,
Irwin Durand et Guy Savoy aux manettes

Gastronomie

27JUIN. 2022

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À Paris, Chiberta

Irwin Durand et Guy Savoy aux manettes

27 JUIN . 2022

Écrit par Stéphane Méjanès

À 33 ans, Irwin Durand est un chef bien dans ses casseroles et dans ses baskets. Pour Guy Savoy, il ambiance le Chiberta avec malice mais sans jamais choquer. Dressages aériens et goûts francs, la place de l’étoile est méritée.

Irwin Durand sort du lot

Autant vous prévenir tout de suite, ne cherchez pas du poulet basquaise ou de la piperade sur la carte du restaurant parisien. Du piment d’Espelette ici ou là, sans doute, mais parce que c’est une épice délicieuse, pas pour revendiquer une quelconque appartenance. Ne demandez pas non plus où sont les bérets, les chisteras et les tenues blanc et rouge. Si vous aimez le Sud-Ouest, vous savez certes que Chiberta est un toponyme fréquent en Iparralde (le Pays basque français). C’est par exemple un lac, une forêt, et même un golf à Saint-Jean-de-Luz. À Paris, à quelques foulées de l’Avenue des Champs-Élysées, c’est le nom d’un restaurant depuis (presque) toujours. Quand Guy Savoy l’a repris, en 2004, il a trouvé le nom chouette, le grand amateur de rugby qu’il est y a même certainement vu un signe.

 

 

Alors, il l’a gardé. Mais, depuis l’ouverture, c’est une autre partition qui se joue, distinguée dès 2005 par une étoile au Guide Michelin. Dans un lieu dessiné par l’architecte Jean-Marie Wilmotte, au décor Jeanne Mas (en rouge et noir) pas follement gai, n’étaient les impressionnants tableaux d’art contemporain, la touche Savoy, on défend ici une certaine idée de la cuisine française. Mitonnée dans la tradition mais assaisonnée au goût du jour. Depuis 2020, Irwin Durand continue d’écrire cette histoire, après avoir été le second du patron, tête chercheuse d’une unité R&D qui ne dit pas son nom, dans son restaurant triplement étoilé de l’Hôtel de la Monnaie de Paris.

 

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Interprétation et réinterprétation

Passé par l’Atelier de Joël Robuchon, le Relais Bernard Loiseau, puis dans le giron de Sylvestre Wahid ou au Pavillon Ledoyen, on avait repéré ce trentenaire francilien à l’ouverture du restaurant gastronomique d’Alan Geaam. Une étoile au Guide Michelin et la distinction de Jeune Talent Gault&Millau 2017 plus tard, on est heureux de le retrouver au Chiberta. Tête bien faite et bien pleine, marié à une enseignante et recrutant ses amis les plus proches ailleurs que dans le petit monde de la gastronomie, il atteint une sorte de maturité tranquille, une forme de détachement paisible, loin du Landerneau où l’on fait du bruit, concentré sur l’assiette. Au comptoir du bar à trois bandes, on a pu apprécier les vertus d’une cuisine roborative défendue avec élégance par le directeur, Thierry Belin, et ses équipes en salle.

 

 

L’un des jeux préférés du chef, c’est de déstructurer. Pas pour faire genre ni pour dilapider l’héritage en élucubrations égotiques et n’accoucher finalement que de « revisites » inutiles, rendez-nous l’original. Sa tête de veau sauce gribiche, par exemple, arrive tout en volume, chaque couche reprenant tous les marqueurs de la recette emblématique, la viande fondante, la moutarde pour la vivacité, le persil pour le côté herbacé, en ajoutant du croustillant avec des tuiles de sauce gribiche.

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D’autant plus plaisant qu’on aime les dressages aérien, un plat plat, c’est plan-plan. Une créativité picturale présente jusqu’aux desserts, une sensibilité sans doute inspirée par le travail de Murielle, la mère d’Irwin, artiste plasticienne aussi à l’aise avec un pinceau qu’avec une gouge de sculpteur. La réinterprétation des classiques atteint un peu ses limites dans une quenelle de brochet servie avec une chips de riz, des champignons shimeji, du caviar de brochet maison (délicieuse découverte) mais aussi, une langoustine. On comprend le clin d’oeil à la quenelle aux écrevisses mais la langoustine, c’est tout de même autre chose. LE crustacé roi (opinion assumée par l’auteur de ces lignes) mérite un plat à lui tout seul, pas d’être un pis-aller. Planquée sous la langoustine, la quenelle s’efface, manque de sauce, un léger bémol dans un repas sans fausse note.

 

Brave Blette

Il faut par exemple être un sacré cuisinier pour faire aimer la blette même à ceux qui grimacent devant ses longues feuilles côtelées convoquant de mauvais souvenirs d’épinards. Pari tenu dans une raviole rehaussée d’une émulsion de parmesan gratiné. Mais le chef d’oeuvre du jour reste le ris de veau. Vu, revu et re-revu, il enflamme autant qu’il divise. Techniquement, c’est un bas morceau mais il a gagné ses lettres de noblesse. L’abat c’est le paradis. Rôti, escorté d’une tombée d’épinards, d’une crème de févettes et enrobé d’un jus corsé, c’est du grand art, d’autant qu’il est accompagné d’une petite salade toute fraîche, qui pourrait n’être qu’un alibi pour glouton qui n’assume pas, sauf que le chef y a ajouté des gratons.

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N’en jetez plus, le gras c’est la vie, votez Karadoc ! Adepte du fromage travaillé (même s’il existe un plateau), Irwin Durand convainc avec sa glace au sainte-maure. Idem avec les desserts, dont ce rafraîchissant clin d’oeil à son passage chez Alan Geaam, chef autodidacte, né au Libéria mais ayant vécu au Liban, mélasse de grenade, glace de lait de brebis et gel de kalamansi (agrume appelé parfois citron philippin), mais aussi un pavlova aux fraises crues et en sorbet, tout en hauteur, bouclant la boucle des dressages qui tutoient le ciel.

 

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Même si l’on est resté plutôt sobre en ce jour ensoleillé, on a noté la richesse de la carte des vins, avec des pépites abordables. Côté bulles, mention spéciale pour le champagne Leclerc Briant 2017 (100 €). En blancs, une merveille de riesling « Cuvée Albert » 2014 d’Albert Mann (65 €} ou un Montlouis-sur-Loire « Les Choisilles » 2018 de François Chidaine (88 €). En rouges, le prometteur Ventoux 2016 (53 €) du Domaine Dambrun mené par l’ancien journaliste Patrick Chêne et sa femme Laurence ou un étonnant Tamada 2014 (75€) de Georgia Wine & Spirits, filiale du groupe Pernod-Ricard, vin géorgien élevé en qvevri (jarre de terre cuite). Bien sûr, si vous êtes tentés par un meursault 1er cru « Bouchères » 2018 (310 €) du Domaine Génot-Boulanger ou un pessac-léognan 2014 (319 €) du Château Smith Haut Laffitte, l’un des grands crus classés pionniers de la bio dans le Bordelais, ne vous privez surtout pas, avec ou sans votre amie modération.

S.M

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