Rencontre : Lison de Caunes,

Pas de pacotille, la marqueterie de paille

Culture

21JUIL. 2022

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Rencontre : Lison de Caunes

Pas de pacotille, la marqueterie de paille

21 JUILLET . 2022

Écrit par Johanna Colombatti

Photographies par Philippe Chancel

Travail décoratif hissant l’artisanat à ses sommets, la marqueterie de paille, longtemps considérée comme parent pauvre du travail de bois, refait surface en toute modernité. Un retour en flèche qui ne doit rien au hasard -pas tiré à la courte-paille- signé Lison de Caunes, qui s’est battue des années durant pour remettre au goût du jour ce travail minutieux, marchant dans les pas de son célèbre grand-père (le décorateur André Groult).

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Lison de Caunes photographiée dans ses ateliers par © Philippe Chancel.

A la tête de cinq espaces ponctuant la rue Mayet -petite enclave entre les célèbres rues de Sèvres et rue du Cherche Midi- Lison de Caunes officie en maître dans cette sorte de mini-village d’artisans où subsistent encore un chapelier, un atelier d’art liturgique et où le savoir est transmis de génération en génération. La lignée familiale est bien connue : de son grand-père décorateur et sa grand-mère costumière de théâtre (sœur du grand couturier Paul Poiret) à sa fille Pauline aujourd’hui à la tête de la gestion et d’une partie de la communcation des Ateliers, s’ajoute un ensemble d’une quinzaine d’employés qui s’affairent pour produire un travail de marqueterie de paille, cet « or des pauvres », que les décorateurs et architectes d’intérieur s’arrachent. On a visité l’un des haut-lieux de ces savoir-faire dont la France a le secret.

 

La marqueterie de paille a le vent en poupe

C’est en passant la porte de la maison-mère que l’on découvre une ribambelle de jeunes personnes qui s’activent autour de Lison et que l’on comprend instantanément que la marqueterie de paille a plus que jamais le vent en poupe. L’artisane en chef nous accueille à son bureau- qui est aussi son plan de travail- le regard pétillant, l’allure vive et des outils plein les mains pour nous entraîner dans le récit de cette histoire artistique familiale comme on en raffole tant.

De son grand-père dont le portrait trône sur le bureau et dont les créations voisinent avec les productions actuelles (un superbe paravent de 100 ans d’âge dans un état remarquable nous fait de l’œil dans l’entrée), elle reconnaît avoir tout appris. La passion pour les travaux manuels et la paille en premier lieu. « Je suis née sur la paille, à la maison on servait le café sur un plateau en marqueterie paille et puis il y avait des meubles en paille tout autour » sourit-elle. Impossible de ne pas tomber dans la marmite de ce matériau aux potentialités infinies.

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Dans les ateliers parisiens.

 

Lison de Caunes, la passion du matériau

Lorsque la jeune femme cherche à se former près le bac, elle passe par l’Union centrale des Arts décoratifs, pour y apprendre la reliure-dorure tout en prenant des cours d’ébénisterie et de marqueterie. Passionnée par tous les matériaux de la période Art Déco, elle commence par restaurer les meubles et objets faits  de galuchat, parchemin et paille, que lui confient antiquaires et galeristes.

Nous sommes dans les années 1980, et il est plutôt aisé de surfer sur la tendance qui prône le retour de l’Art Déco, style qui fait la part belle à la pureté des formes et qui se veut à la fois géométrique et décoratif. Mais la faveur de Lison de Caunes va tout de même à la paille, découverte dès sa plus tendre enfance. Elle décide de se documenter pour en faire sa spécialité : « Je suis partie de la paille de mon grand-père, de son travail et j’ai remonté l’Histoire. » Ainsi commence le récit de la marqueterie de paille de Lison de Caunes.

 

Un long travail de réhabilitation

L’entreprise n’est pas chose aisée :  si l’histoire fourmille de références sur la marqueterie de bois, dont la fameuse marqueterie Boulle (mélangeant les essences de bois au laiton et aux écailles de tortue) si prisée au XVIIIe siècle, le travail de la paille est un véritable laissépourcompte des textes. Très peu de sources évoquent cet ouvrage précieux. Une explication assez simple à cela : ce matériau a plutôt servi les marginaux : les bagnards (on trouve une forte production à Toulon et Saint-Malo), les religieuses et la plupart des travaux sont non signés.

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La collection de boîtes et les oeufs de Lison de Caunes, à l’atelier. © Gilles Trillard

En témoigne la fabuleuse collection de pièces anciennes qui est exposée dans l’Atelier de Lison de Caunes. Boîtes, coffrets, plateaux démontrant des tours de force inouïs, qui n’ont rien à envier à leurs versions en ébénisterie. Car le principe de la marqueterie est le même quel que ce soit le matériau : un décor réalisé avec des placages de bois ou paille parfois combinés à d’autres matières (comme la nacre, l’ivoire, la pierre) qui sont découpés et assemblés pour former un dessin abstrait ou figuratif. Le fruit des recherches laborieuses de Lison de Caunes se concrétise avec la publication de deux ouvrages de référence -tous deux épuisés à ce jour. Et la rencontre avec le succès voit enfin le jour.

 

Inventer son métier

C’est grâce à une première commande de la part d’un décorateur que les choses se concrétisent enfin et que son métier s’invente. On lui commande un mur recouvert de paille, Lison de Caunes ne sait pas comment le réaliser techniquement, mais elle accepte. Elle s’occupera de trouver les solutions après, l’audace de saisir son tour d’abord !

Peter Marino- le fameux architecte américain qui travailla pour Andy Warhol, Pierre Bergé et Yves Saint Laurent- fait à son tour appel au talent de Lison de Caunes et ce sera le début d’une longue et fidèle collaboration qui inscrira son histoire avec les projets Guerlain (l’entresol de la boutique du 68 avenue des Champs-Élysées, notamment). Grâce à la prescription des décorateurs et architectes (Jacques Grange, Maria Pergay, Vincent Darré, récemment Pierre Marie, le goût de la marqueterie de paille se diffuse et Lison observe le regain d’intérêt tant attendu : « pour croire en cette matière, il fallait de l’énergie, je me suis battue et petit à petit c’est redevenu à la mode… » Depuis 30 ans les projets s’enchaînent. Et la nécessité se fait de devoir s’entourer pour répondre aux commandes de plus en plus nombreuses.

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Détail de la paroi murale d’une chambre à l’Hôtel Woordward de Genève © Gaelle Le Boulicaut

C’est donc ici, dans les différents numéros de la rue Mayet que sont créés les panneaux qui, une fois assemblés, orneront les murs des plus beaux écrins pensés par les décorateurs et architectes. Lison de Caunes crée également sur commande du mobilier et des accessoires de maison (boîtes gigognes, sets de table). En 2015, pour répondre à l’appel du public grandissant, elle a d’ailleurs lancé Lison de Caunes Créations, sa propre ligne de mobilier en marqueterie de paille. Quant au bijou ? La petite échelle l’intéresse moins : « la paille a besoin d’espace pour montrer sa lumière ».

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Avec l’artiste Pierre Marie et le coffret réalisé pour sa dernière exposition.

Si l’ensemble des commandes est traité par tous les artisans, Lison de Caunes est la seule à réaliser ses œufs, prouesse technique, ainsi que les demandes les plus ardues, celles qui impliquent des innovations, comme le coffret récemment réalisé pour Pierre Marie ou encore les caves à cigare pour Davidoff.

 

Toujours pas de formation officielle

Grâce à l’intérêt croissant pour cet artisanat qui ne nécessite que très peu de moyens (de la paille, de la colle, quelques outils de relieurs et un grand savoir-faire), Lison a développé une véritable corporation d’artisans. Elle a d’abord formé son chef d’équipe il y a plus de 20 ans : Shan, qui montrait une vive curiosité pour ce qu’elle faisait de ce matériau à l’apparente simplicité. Depuis, il transmet à son tour son savoir-faire et chapeaute chaque nouvel arrivé aux ateliers.

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Détail d’un siège, collaboration des Ateliers Lison de Caunes avec DS Aero Sport Lounge.

Car il n’y a toujours pas de formation officielle. Pour faire ce métier, on passe éventuellement par l’École Boulle mais surtout par l’apprentissage manuel, par la pratique. Et quelle meilleure école que celle de Lison de Caunes, de la rue Mayet ? Ses artisans sont aujourd’hui une quinzaine, répartis en cinq lieux où la paille règne en maître.

A l’atelier, chacun son rôle. On s’arrête devant une jeune femme l’air appliqué, penchée sur un carré de bois, colle méticuleusement des lamelles. On nous renseigne : « c’est la personne qui fabrique les échantillons » entendez par-là les carrés de démonstration pour la clientèle qui fera son choix sur ces pièces miniatures pour les projets à venir. Un rôle précis pour chacun, en effet.

 

La marqueterie de paille : simplicité de moyens, expression infinie

Le mur qui fait face à l’artisane a collecté grand nombre de ces trésors miniatures. La palette des motifs et des couleurs est impressionnante, du « simple revêtement » unicolore à la fameuse marqueterie de paille représentant tantôt des motifs figuratifs tantôt abstraits : décors géométriques, célestes, floraux (on découvre un exemplaire merveilleux d’après un papier peint d’André Groult), tout autant de témoignages des commandes qui sont sorties ou sortiront des ateliers. La couleur de la paille, son seul artifice, est due au travail d’un céréalier avec lequel Lison collabore depuis toujours.

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Tout commence par le choix des pailles et des teintes… © Philippe Chancel

 

« La marqueterie de paille est une affaire de temps, de minutie et d’imagination » – Lison de Caunes

 

Quant à l’approvisionnement en matière première, elle repose sur un céréalier qui cultive la paille et la récolte à l’ancienne en Bourgogne. La paille est séchée et teintée, chaque tige est ensuite fendue en deux, aplatie, écrasée au plioir puis collée sur un (bois, métal, verre…). Même non teintée, le matériau a des capacités expressives fabuleuses. Non seulement, il n’y a pas deux tiges identiques mais la paille a la particularité d’être couverte de silice qui lui donne sa brillance : ainsi elle ne nécessite aucun vernis. Elle capte la lumière de façon incroyable, et tout l’enjeu réside dans le fait d’en exploiter ses pleines capacités. Ainsi l’une des dernières expérimentations des ateliers repose sur l’idée de panneaux de pailles gaufrées. On jurerait qu’il s’agit de cuir, on est bluffés !

Scénographie aux ateliers Lison de Caunes en collaboration avec l’atelier de Ricou (matière murale), les ateliers Jouffre (éléments textiles), les ateliers Saint-Jacques (table basse et banquette), Auberlet & Laurent (plafonnier en plâtre), Declercq passementiers, la manufacture de tapis de Bourgogne, la maison Meijac (totem multiprise) et Ozone (liseuse recouverte de marqueterie de paille des ateliers Lison de Caunes) © Nicolas Matheus

 

Un projet mémorable ?

« Même si chacun l’est à sa manière, celui commandé par DS automobile pour une concept car (le concept DS Aero Sport Lounge nldr), exposée dans le cadre de la biennale Révélations ! Ils avaient même fait appel à Lesage et on a eu l’idée de mettre de la marqueterie de paille au dossier des sièges et sur le tableau de bord, c’était fabuleux. » s’anime-t-elle. Ou d’évoquer son Totem, sorte de grand obélisque, pour lequel la créatrice a étalé tout son stock de paille afin de trouver la plus grande variété de teintes possibles, piochant même dans le stock de son grand-père. Le résultat ? Un sublime éventail de teintes comprenant deux faces à dominantes vertes et deux faces à dominantes bleues. Saisissant.

On apprend enfin, en déambulant dans son atelier et en marchant sur des restes de paille, que la prochaine étape sera de collecter toutes ces chutes pour en faire des compressions et s’en servir de support, car la paille et son décor sont toujours fixés sur une « âme » de bois ou plus précisément de contreplaqué, pour être présentés. Ainsi toute la matière pourrait être utilisée, plus rien ne serait perdu et la boucle serait bouclée. La marqueterie de paille, très loin d’être sur la paille.

J.C


Les ateliers Lison de Caunes,
20 Rue Mayet,
Paris VIe
T. 01 40 56 02 10
Stages de marqueterie ouverts aux particuliers, plus de renseignements par ici

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