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Moderne Nomade : voyage dans le sud marocain en Royal Enfield
10 NOVEMBRE . 2025
Elle a cette allure d’un autre temps, la Royal Enfield. Ligne classique, selle basse, réservoir galbé, monocylindre 4 temps dont le battement régulier évoque le pouls d’une époque où l’on roulait pour le plaisir seul de la chose et des éléments. Née dans les brumes anglaises avant d’être adoptée par les routes indiennes, l’une des plus anciennes motos au monde (1901), porte aujourd’hui en elle un parfum d’aventure universel, entre force et rétro-vintage. Une moto sans artifice, à la fois bonne camarade et témoin.
C’est sur cette monture, simple et docile, que je prends la route. Ma moto garde sur sa tôle les cicatrices de précédents voyages. Le moteur, lui, bourdonne, impatient de reprendre son souffle dans la chaleur du Maroc. Être seule au guidon de sa moto, c’est apprendre à dialoguer avec les vibrations de son monocylindre. Un langage codé que seuls les aventuriers-nomades aiment et comprennent.
La boucle dessinée sur la carte Michelin ressemble à un ruban d’ocre : Marrakech – Tizi-n-Tichka – Agdz – Zagora – Tata – Taroudant – Ouirgane – puis retour à la Cité Rouge. Pas de GPS, pas de boussole électronique, juste le soleil, la route et 1 100 kilomètres à parcourir.

Koutoubia, Marrakech © Fabienne Dupuis
La première étape est une ascension : le Haut Atlas, par la N9 jusqu’au col du Tizi-n-Tichka. La Royal ronronne, docile mais opiniâtre. Les paysages changent à mesure que l’altitude monte : torrents un peu secs, forêts de chênes et de pins d’Alep, villages tassés contre la roche. À 2 260 mètres, l’air devient froid et coupant, le moteur lui ne faiblit pas. Puis vient la bascule. Le monde s’ouvre alors. L’aride surgit. C’est un autre Maroc, ocre et silencieux, où les courbes de la route semblent suspendues dans la lumière.
La descente vers Agdz marque l’entrée dans la vallée du Drâa. Ksours et kasbahs filent alors comme des perles sur un fil d’asphalte. La palmeraie ondule, verte et dense, entre les berges d’un oued discret. À chaque halte, un marché, des enfants qui agitent la main, des femmes qui tirent l’eau des puits. L’air sent la poussière chaude, la menthe, le cumin et la muscade. La Royal, elle, se repaît dans cette lenteur. Souple et docile, elle glisse d’un virage à l’autre comme une monture résignée.

Tata de loin © Fabienne Dupuis
Au bout du ruban de terre, Zagora apparaît, adossée au désert. “Tombouctou, 52 jours” annonce un vieux panneau peint à la main. La nuit tombe, le vent se lève et le silence gagne. Je ressens alors cette impression rare d’être loin dans l’épaisseur d’un autre temps. J’ai basculé.
Le lendemain, il faut déjà reprendre la route, celle de Tata qui s’étire, droite, ouverte, presque infinie. Elle traverse le Jbel Bani et ses arêtes acérées, contourne les cascades de Tissint et la maison de Charles de Foucauld. Le paysage se dépouille, se simplifie, ne gardant que l’essentiel : la roche, le vent, la lumière. La Royal devient alors la sentinelle complice dont le souffle grave rythme les pensées.
S’enchaineront après, les pentes de l’Anti-Atlas, plus douces mais plus accidentées. La route serpente entre les arganiers, les cactus et les villages fortifiés d’Igherm. Les montagnes solitaires teintées d’or et de cuivre. On y croise parfois des bergers nomades, silhouettes presque irréelles, qui lèvent la main en signe de salut. La Royal ronronne toujours, fidèle. Je me surprends à lui parler, comme à une amie, magnifique. Inébranlable. La descente vers Taroudant arrive enfin. Un soulagement qui s’ouvre sur la plaine du Souss, fertile et parfumée d’orangers. Les remparts ocre de la ville apparaissent dans la lumière du soir, nobles, un peu fanés, comme les reliques d’une gloire passée. Ne reste donc plus que l’ascension du Tizi-n-Test, celle qui ramène vers le nord. Une route en lacets, spectaculaire, où chaque virage s’ouvre sur la plaine immense. À 2 000 mètres d’altitude, la fraîcheur revient, tandis que les pins d’Alep veillent sur la vallée de l’Ourika. Puis s’engage une descente, vers Ouirgane, oasis suspendue, antichambre de Marrakech. La Cité Rouge. L’agitation, les bruits, la foule. Le contraste brutal avec l’immensité du sud.

Sur la route de Taroudant © Fabienne Dupuis
Le voyage s’achève, mais laisse sa marque en forme de poussière dorée sur mes bottes terreuses, une odeur d’huile chaude sur les mains, et cette certitude d’avoir roulé non pas contre le monde, mais avec lui, comme une nomade moderne.