Caver les truffes noires à Blois, avec Christophe Hay

Gastronomie

23DÉC. 2025

newsletter

Gastronomie

Caver les truffes noires à Blois, avec Christophe Hay

23 DéCEMBRE . 2025

Écrit par Emmanuel Laveran

La vertu n’attend pas le nombre des années, et la valeur non plus. Âme bien née, issue de grands-parents fermiers, le chef Christophe Hay, afin de fournir ses restaurants, a su renouer avec ses origines en investissant dans plusieurs exploitations agricoles. Parmi elles, une truffière où nous avons cavé, la semaine dernière, de magnifiques mélano…

Christophe Hay et sa chienne Vicky en train de caver des truffes

Christophe Hay et sa chienne Vicky en train de caver des truffes

C’est en 2018 que Christophe Hay a définitivement scellé son attache avec le monde paysan. A cause d’une surface cultivable de plus d’un hectare, il fut obligé de créer une première exploitation agricole afin de pouvoir officiellement livrer fruits et légumes à ses trois restaurants de Blois et Orléans. Plusieurs centaines de milliers d’euros d’investissement plus tard, l’équipe de jardiniers dirigée par Alain s’épanouit dans des cultures et des serres gérées au cordeau. Pour avoir eu la chance de parcourir les jardins d’Alain Passard en Normandie, l’immense potager de Jacques et Régis Marcon à St Bonnet le Froid, la ferme modèle du Doyenné ou encore les terres que possède Alexandre Couillon à Noirmoutier, on peut vous garantir que Christophe Hay ne fait pas dans la demi-mesure.

Le chef dans sa serre aux agrumes

Le chef dans sa serre aux agrumes

1,5 hectares de tomates, courges, celtuces, salades, maïs… mais aussi des variétés rapportées de plusieurs pays lointains par le chef, herba santa du Mexique, oca du Pérou, lime rouge du Costa Rica, oranger du Japon… des centaines d’espèces de végétaux s’épanouissent dans le limon fertile de la Loire. Cerise sur le gâteau ? La production respecte un cahier des charges bio et applique les principes de la permaculture. Zéro pesticide, zéro produit chimique, recyclage du compost des restaurants et de 100% de leurs déchets organiques, le chef, désormais emblématique du terroir ligérien, tend vers le zéro déchet, zéro plastique…et quasiment zéro transport ! Il est devenu un modèle d’intégration verticale vertueuse, un exemple de ce qui se fait de mieux sur la planète food : bien manger tout en limitant au maximum son empreinte carbone.

Le chef dans ses serres à Blois

Le chef dans ses serres à Blois

A Fleur de Loire, pas de poisson exotique ni même de l’Atlantique, la pêche provient exclusivement de la Loire, juste en face. Les légumes, les herbes et les aromates sont issus des champs aux alentours, la viande de bœuf de l’élevage wagyu du chef, les gibiers de la Sologne voisine.

Mais j’allais presque oublier ce qui nous intéresse ici, les truffes, parce que Christophe Hay est aussi trufficulteur !

Caver la truffe melanosporum avec le chef Christophe Hay, dans sa truffière

Caver la truffe melanosporum avec le chef Christophe Hay, dans sa truffière

7h37 : le train TER quitte Paris-Austerlitz, direction la Vallée de la Loire.

9h02 : le van noir griffé « Fleur de Loire » attend déjà devant la gare de Blois. Un jeune chauffeur souriant tiré à 4 épingles annonce que le trajet prendra moins de 10 minutes.

9h10 : nous passons le portail d’un formidable bâtiment en U, ancien hospice du XVIIè siècle parfaitement rénové et transformé en hôtel 5 étoiles. « Fleur de Loire ». Du jardin, le nom résonne telle une évidence : à 20 mètres, la Loire majestueuse nargue le bâtiment. Son débit est rapide, tumultueux, l’hiver charrie ses eaux. 

De l’autre côté du fleuve, la vue sur le chef-lieu du Loir-et-Cher, ses églises, bâtiments bourgeois et son pont remarquable en dos d’âne, inauguré sous Louis XV, se voit temporairement obstruée par un épais brouillard. Ce dernier me rappelle le début de ces journées de chasse matinales, enfant, dans l’Indre. Mais aujourd’hui, la partie sera différente. Pas de fusil. Juste des gants, un piochon, des bottes, un panier et la chienne. Vicky, flaireuse de truffes depuis l’âge de 8 mois, dressée à la mélano. 

Vicky, dans la truffière

Vicky, dans la truffière

Christophe Hay arrive, salue amicalement le petit groupe et présente son animal préféré. « Je l’ai choisie noire, en hommage aux labradors de Monsieur Paul ». Le chef, dont l’humanité rayonne par les valeurs de l’apprentissage, tient à marquer la fidélité à ses mentors. Formé chez Bocuse, il demeure extrêmement attaché à cette maison emblématique. 

9h30 : départ pour la truffière, à 10 minutes de l’hôtel.

9h40 : le véhicule se gare au milieu des champs. Vicky saute à terre, la queue déjà battante. On ouvre une clôture flanquée de caméras. De l’autre côté, de jeunes chênes sagement alignés nous attendent, immobiles. Les chênes pubescents arborent déjà les couleurs rouille de l’automne, alors que les chênes verts, fidèles à leur nom, sont verts ! 

La balade débute.

Le maître, la chienne et une belle truffe

Le maître, la chienne et une belle truffe

9h41 : On observe le « brûlé », cette terre portée à vif par les gaz émanant des truffes, sur laquelle aucune herbe ne pousse. Vicky gratte la terre furieusement sous le premier arbuste de la première rangée. La chienne s’en donne à cœur joie, tempérée par son maître. Christophe Hay écarte l’animal, lui intime d’attendre, il creuse délicatement à l’aide du piochon, extrait le premier diamant noir de la série. 80 grammes environ, une très belle mélano.

9h44 : la scène se répète, quasiment à l’identique…

11h06 : Nous avons parcouru à peine un quart de la surface de la truffière, qui compte 300 arbres, et ramassé plus de 2 kilos du précieux champignon. La totalité de la récolte est constituée de tuber melanosporum, la variété de truffe la plus noble, la plus recherchée, la plus utilisée en cuisine. 

Christophe Hay nous explique l’histoire de sa truffière, qui lui a été cédée par une personne âgée, et tout le soin qui doit être prodigué à la terre. Chaque année, elle est enrichie d’Innoculum, un onéreux mélange de terreau, pépites de calcaire et truffes noires broyées. Le travail du sol s’avère primordial. La récolte continue à un rythme effréné. La truffe est partout, on l’aperçoit parfois même en surface alors que sous un autre arbre, on la débusque à 40 centimètres sous terre. En l’espace d’une grosse heure, le panier bien rempli, la balade prend fin.

Un panier de truffes bien rempli

Un panier de truffes bien rempli

11h30 : De retour à Fleur de Loire, la récolte du jour s’invite au restaurant deux étoiles Michelin. Avant le service du déjeuner, l’équipe de cuisine s’active. Les truffes sont brossées, nettoyées, préparées, disposées dans un coffret en bois blond.

La récolte du jour, une fois préparée

La récolte du jour, une fois préparée

Un commis se saisit d’une mandoline et d’une truffe noire d’une cinquantaine de grammes. Concentré, il détaille de fines lamelles. Elles relèveront la salade qui accompagne le « Chapeau de Monseigneur de Quincey », une tourte composée de perdrix, poule faisane et canard colvert. Cette assiette constitue le premier temps du menu dégustation du jour. On passe à table.

Ça bosse en cuisine

Ça bosse en cuisine

12h30 : Le pithiviers de 3 gibiers est annoncé. On constate un montage modèle, une œuvre façon Meilleur Ouvrier de France, réalisée dans les règles de l’art, dessins de feuilles sur le dessus. Autour, vrais feuillages, mousse, lichens et pommes de pins pour la mise en scène. La photo parle d’elle-même, on attend la découpe avec impatience.

Le « Chapeau de Monseigneur de Quincey »

Le « Chapeau de Monseigneur de Quincey »

Les sourires se dessinent alors que l’on découvre la farce piquée de noir. L’avantage de récolter chez soi 25 à 40 kilos de truffes par an, de ne pas avoir à payer 700 ou 1000€ le kilo le précieux champignon, est que l’on peut s’autoriser une certaine prodigalité. On retrouve dans les assiettes le naturel généreux du chef. Gibiers, saveurs profondes et terreuses de la truffe s’entremêlent au jus clair… et truffé ! L’herbe à poivre du jardin pimente l’ensemble, twiste ce plat traditionnel revisité. Grande entrée en matière.

Le « Chapeau de Monseigneur de Quincey », servi à l’assiette

Le « Chapeau de Monseigneur de Quincey », servi à l’assiette

12h50 : L’intitulé suivant : « Bouillon fleur de racine et crémeux de persil, orge perlé, jus végétal » oublie certainement à dessein de mentionner la truffe noire, élément central de l’assiette. Venir à Blois juste pour cet extrait de jus noir… Si Bocuse a un jour créé la soupe VGE, puissante mais riche, comme l’exigeaient les canons de l’époque, Christophe Hay donne ici une autre interprétation de la soupe aux truffes. Il présente un bouillon d’une légèreté idéale, d’une élégance rare, tout de végétal corsé et de concentration. Dès la première cuillère, on croque la mélano à pleines dents, on se retrouve catapulté sous les chênes, à quatre pattes, le nez dans la truffière, avec Vicky.

Attention, terrain miné, explosion de truffes en cours. 

Bouillon fleur de racine et crémeux de persil, orge perlé, jus végétal

Bouillon fleur de racine et crémeux de persil, orge perlé, jus végétal

Puis la complexité de la composition émerge. La douceur du persil tempère, l’orge texture, les lamelles de diamant noir rafraîchissent alors que les émotions se diffusent. La table se tait. On assiste au recueillement de 8 journalistes gastronomiques de toutes obédiences, d’ordinaire blasés et repus d’étoiles. 

La carpe à la Chambord, plat signature du chef

La carpe à la Chambord, plat signature du chef

Plus tard, toutes et tous constateront également en silence, avec l’addictive Carpe à la Chambord, le stratosphérique feuille à feuille de bœuf wagyu du chef ou encore un dessert graphique terriblement gourmand, qu’un nouveau monument est né à Blois. 

Bœuf wagyu du chef

Bœuf wagyu du chef

L’hôtel, à la déco contemporaine très réussie, s’appelle « Fleur de Loire » et le restaurant gastronomique répond sobrement au nom de « Christophe Hay ». 

Depuis Vendredi dernier, durant la nuit, je rêve encore de soupe aux truffes.

Ajouter à mes favoris Supprimer de mes favoris
Les idées cadeaux très hardis de dernière minute !

Les idées cadeaux très hardis de dernière minute !