Le seersucker ne fait pas un pli

Style de vie

01AOÛT. 2014

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Le seersucker ne fait pas un pli

01 AOûT . 2014

Écrit par Frédéric Brun

La chaleur monte à Washington. Dans les allées du pouvoir, on sent poindre la transpiration. Eux, calmes et désinvoltes, sont fin prêts pour l’ouverture des débats. Ils ne passent pas tout à fait inaperçus, ainsi vêtus, comme chaque jeudi d’été. « Seersucker Thursday » est devenu une institution. Les Sénateurs des Etats du Sud entrent en séance, drapés de cette étoffe fine, à rayures contrastées.

Mieux qu’un drapeau, le seersucker est leur panache. Plus question de s’en laisser faucher la reconnaissance par ces gens chics du Nord, sous prétexte de vogue nouvelle du style « preppy ». Bien sûr, ce sont les étudiants de l’Ivy League qui ont remis à la mode, dans les années cinquante, cette merveilleuse matière qui sait se faire oublier dès que le mercure s’affole. Mais tout de même, cela reste une affaire de Sudistes.

Les Anglais ? Pour une fois, leur seul mérite fut de le rapporter des Indes. A part sans doute le Duc de Windsor, en escale à Positano. Mais surtout pour en faire des draps. Le costume rose de Jay Gatsby évoqué par Fitzgerald ? Il n’était certainement pas en seersucker. Dans les années vingt, ce tissu, essentiellement bleu et blanc, est encore l’uniforme des classes laborieuses du sud des Etats-Unis. Au mieux, la tenue des marchands de glace. Le premier costume en seersucker proposé par Brooks Brothers vers 1870 est un échec cuisant. Il faut attendre les années 1940 pour que les messieurs de la bonne société de la Nouvelle-Orléans ne se fassent confectionner des costumes dans cette étoffe si fraîche qu’elle permet de ne plus suffoquer lors des traditionnels cocktails mondains de fin de journée. Pour se démarquer du petit peuple apparaissent les premières variations de couleurs, notamment en vert et blanc ou jaune et blanc. Mais ces tenues chatoyantes au chic décontracté sont encore impensables aux yeux des élégants de Boston, New York ou San Francisco, qui ne jurent que par la laine fine ou la flanelle blanche.

Les étudiants de l’Ivy League s’entichent après-guerre de ce tissu prolétaire et sudiste, pour faire bisquer grand-papa lors des parties de croquet ou des régates entre Nantuket et Martha’s Vineyard. Il n’en faut pas plus pour valider l’entrée du seersucker dans le vestiaire chic des riches et puissants.

Ensuite ? Un détour par Hollywood, bien entendu. Gregory Peck, alias Atticus Finch dans le film Du Silence et des Ombres, de Robert Mulligan, en 1962, le joue en trois pièces. Steve McQueen ne porte que cette veste en sortant des studios où il tourne Au nom de la Loi sous une chaleur de plomb. Miles Davis en fait son costume d’été préféré.

Le secret du tissus seersucker ? Il est « cool », voyons. Pour une fois il n’est pas question de cette vilaine habitude moderne du relâchement ou des vêtements difformes sous prétexte estival. Mais bel et bien de variation de température. Tramé sur la base de deux chaînes de tissus, qui lui donnent cet effet naturellement ondulé et faussement froissé – à l’inverse du lin, donc – le seersucker laisse passer l’air et provoque une ventilation. Les « plis » obtenus peuvent varier entre 25 et 40% de sorte que l’étoffe reste légèrement à distance de la peau ou de la chemise. L’air passe et rafraîchit celui qui le porte. CQFD.

Né de l’imagination des artisans du sous-continent indien, il était alors dénommé, en raison de sa texture alternant entre le lisse et le rugueux, « shir-o-shakar », ce qui signifie en Persan, « Lait et Sucre ». Une poésie qui à fait place par déformation au mot seersucker dans la bouche des Anglais.

Selon sa fantaisie, il sera aisé d’en faire toutes sortes d’effets, à la manière de certains Grands Ducs déjà adeptes, tel cet avocat parisien amateur de havanes et de Mojitos, ce galeriste dans le vent qui aime porter son blazer rayé rose et blanc nu-pieds ou cet architecte brillant qui le préfère dans un ton de vert en camaïeu de son cabriolet. Costumes, ou simplement vestes et pantalons pour la ville, mais aussi des chemises ou des espadrilles. Comme toujours, le bermuda et les shorts, toujours incongrus en ville quelle que soit la température, seront réservés aux loisirs, notamment en bord de mer. Là, ils feront sensation, tout comme la version maillot de bain.

En trouver sera aisé. Après des années de repli, il est partout cet été. Bien entendu, les enseignes américaines, qui ne l’ont jamais dédaigné, sont à la pointe, en particulier Ralph Lauren et Brooks Brothers. On en trouve aussi quelques pièces chez J. Crew, ou Tommy Hilfiger, ou alors chez Façonnable, Hartwood, Arthur & Fox ou Daniel Crémieux, entre autres.

Pour une fois, nul besoin de choisir. Par temps chauds, le seersucker réussit parfaitement à lui seul le mariage du chic et du confort.

 

Frédéric Brun

 

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