David Coggins, une plume et du style

Style de vie

18JAN. 2018

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David Coggins, une plume et du style

18 JANVIER . 2018

Écrit par Guillaume Cadot

Florence, la semaine dernière, en plein Pitti Uomo… Entre deux rencontres au salon masculin, une trippa alla fiorentina chez Cammillo et un café-comptoir rue Faenza, Guillaume Cadot est allé à la rencontre du new-yorkais David Coggins (qui, on l’apprend, partage le même prénom que son père, écrivain et illustrateur), journaliste pour Esquire, le Wall Street Journal et Condé Nast Traveler, (entre autres) et auteur de Men and style, paru en 2016. Les deux hommes se sont retrouvés à Paris : conversation autour des notions de style, d’idées et de moments de vie.

David Coggins © Arian Jabbary

Bienvenue à Paris, David ! Vous avez l’air de très bien connaître la ville. Vous avez d’ailleurs écrit, il y a quelques années, Paris in Winter. Quelle est votre saison -stylistiquement parlant- préférée à Paris ?

En fait, il s’agit du livre de mon père, qui porte le même prénom que moi ! Nous venions à Paris tous les ans pendant vingt ans en famille, l’hiver. J’ai aussi étudié ici pendant un semestre, mais au fond je passais plus de temps à La Palette (le café de Saint-Germain-des-Près ndlr) qu’à l’université… J’aime l’automne ici, parce que j’aime le tweed, le veau-velours, les belles matières, les écharpes, les nuances de bruns et de crème…

Je me souviens du premier jour de froid à Paris, quand j’étais étudiant. J’étais un peu timide et je ne voulais pas porter une écharpe trop voyante, trop colorée, pour ne pas me démarquer, j’essayais de m’adapter à cette nouvelle vie. Et puis je me suis retrouvé dans les jardins du Luxembourg, au milieu de tous ces hommes parisiens portant d’immenses écharpes aux couleurs vives ! J’ai pensé “j’adore cette ville.” On peut savoir en quelle saison on est rien qu’en observant l’homme parisien.

« On peut savoir en quelle saison on est rien qu’en observant l’homme parisien. »

“Moins de mode, plus de style” pourrait être l’une de nos devises, aux Grands Ducs. On aurait aussi tendance à penser que si le style est affaire de culture, la mode est une industrie. Quand il y a moins de style, il y a moins de culture. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord. Il y a un manque de culture évident. Mieux vaut ne pas être à la mode, d’ailleurs. Le style est plus personnel et dure plus longtemps. Quand je rencontre quelqu’un -homme ou femme, ce qui me marque, c’est son style, qui n’a pas besoin d’être identique au mien -je n’en ai d’ailleurs pas envie ! J’aime les styles personnels, qui révèlent une personnalité qui s’assume. C’est humain : on aime observer quelqu’un qui se comprend lui-même, qui s’exprime à travers ses vêtements mais aussi sa démarche, son phrasé, son comportement.

© Arian Jabbary

La culture et le style sont au centre de la vision que vous explorez dans votre livre Men and style. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

En vieillissant, je me surprends à repenser aux leçons qu’on apprend tout au long de nos vies. Quand on est jeune, on fait des expériences, on s’essaie à tout et c’est bien normal : certaines choses ont du sens, d’autres pas, on fait le tri petit à petit. Je me suis aussi aperçu que mon père m’avait transmis et appris plus de choses que je ne l’imaginais ! J’ai donc commencé à interroger mon entourage, des hommes au style particulier, créatifs, travaillant le vêtement. Je leur ai demandé : “qu’avez-vous appris de votre père ? Quelles erreurs avez-vous commises ? Comment êtes-vous devenu l’homme que vous êtes ?” Les mauvaises décisions font partie de l’apprentissage aussi, bien sûr !

J’ai appris que la plupart des hommes, naturellement, deviennent plus sages mais de mille manières différentes. Ce livre parle donc de style, mais aussi du fait de ralentir, de se connaître, de savoir qui l’on est sans forcément suivre les tendances, de savoir ce qui fait sens pour soi. Par exemple -à l’exception des hommes que l’on croise au Pitti Uomo, la plupart des hommes veulent un uniforme, une tenue basique qu’ils peuvent porter, un jean comme un costume. Cette notion m’intéresse beaucoup. C’est finalement sans surprise, en ce sens, que beaucoup de designers portent toujours les mêmes vêtements, parfois juste un pantalon ou un t-shirt qui soit un signe de reconnaissance. C’est un positionnement, une attitude très puissants.

« L’uniforme masculin, c’est un positionnement très puissant »

C’est comme une signature.

Exactement, mais connaître la bonne signature, c’est une question de connaissance de soi. C’est toute la complexité de la chose, non ?

Les icônes de style du passé semblent être plus que jamais à la mode grâce aux réseaux sociaux, notamment. Pensez-vous à certaines icônes en devenir ? Peut-être y a-t-il une relève, une nouvelle génération dont vous aimeriez parler ?

Les réseaux sociaux ont du bon : on a accès et on peut observer le style des gens du monde entier. J’aime ceux qui ne sont pas célèbres, ou moins. Je les aime uniques. Jarvis Cocker, du groupe Pulp, est quelqu’un de très intéressant à observer. Je sais qu’il a vécu longtemps à Paris, d’ailleurs, mais c’est un Anglais avant tout, au style très original. Je pense aussi à Nick Sullivan, du magazine Esquire, ou encore Luciano Barbera… J’aime les vieux Italiens ! Ils aiment le style anglais, mais ils sont tellement Italiens, ils portent le tweed d’une manière reconnaissable entre toutes.

Luciano Barbera © Mens top tens

Aujourd’hui, je suis allé visiter l’exposition sur Malik Sidibé (à la fondation Cartier, ndlr), qui photographiait son peuple, les Maliens, des années soixante à sa mort. C’est très amusant et aussi très fort, de voir tous ces gens et leurs vêtements incroyables, fabriqués au Mali, ce que leurs tenues révèlent de leurs personnalités. Pour certains, c’est leur première fois face à un appareil photo, et ils ont un regard si intense.

Jarvis Cocker © Rolling Stone

Il faut tout de même rappeler l’inconvénient -voire le danger- des réseaux sociaux : le trop-plein d’informations à tout moment. Comment trouver ce qui nous importe au milieu de tout cela ? Mais c’est tout de même enrichissant de pouvoir observer le style de quelqu’un comme Luca Rubinacci -je ne pourrais jamais m’habiller comme un Napolitain, mais il est génial et assume- ou bien les créations d’un Massimo Alba, qui est un styliste que j’adore basé à Milan, dont le style est bien plus décontracté, doux et facile. Il faut aussi citer mes amis de chez Drakes, un style anglais à toute épreuve mais avec un amour profond du savoir-faire italien…. Et bien sûr, souvent, ce sont les hommes japonais qui sont le mieux habillés au Pitti !

Le créateur Massimo Alba © Alberto Zanetti

Les Japonais sont les nouveaux “vieux Italiens” !

Je suis complètement d’accord ! Ils ont l’air d’avoir fait une véritable synthèse de plusieurs styles.

David Coggins à Paris © Guillaume Cadot pour Les Grands Ducs

Le classique n’est pas ennuyeux, contrairement à ce que pourrait penser la plupart des hommes français… Quelle serait une meilleure définition du style “classique” ?

Dans “classique”, j’entends quelque chose de très naturel : les proportions harmonieuses et les idéaux du style masculin, qui n’ont d’ailleurs pas changé depuis longtemps. Le style classique, ce n’est pas seulement un costume confortable, ce sont des vêtements bien fabriqués, et qui font sens : qui révèlent qui vous êtes, l’image que vous voulez renvoyer. La vraie question, celle que devraient se poser tous les hommes, c’est “qu’a-t-on fait de meilleur dans le passé et en quoi cela fait-il sens avec qui on est, et la manière dont on vit de nos jours ?” Bien entendu, beaucoup de bonnes choses sont arrivées depuis : les matières plus légères, un nombre croissant de tailleurs, le fait qu’on puisse porter une veste déstructurée avec un jean… et être chic !

“Qu’a-t-on fait de meilleur dans le passé et en quoi cela fait-il sens avec qui on est, la manière dont on vit de nos jours ?”

Votre tenue préférée pour la vie quotidienne ?

J’aime ne pas avoir à faire trop de choix : un manteau sport qui a de la matière, un pantalon en moleskine, qui pour moi se porte en automne comme en hiver et pour voyager… Je suis quelqu’un de très pratique ! Quand je voyage, je porte une chemise Oxford que je lave moi-même dans ma chambre d’hôtel ! Et bien sûr, une cravate tricot, qui n’est pas assez portée par les hommes selon moi. C’est une bonne façon d’apporter une touche de couleur et de matière dans sa tenue. La matière est notre amie !

Collaboration entre Drakes et David Coggins © Drakes

Comment êtes-vous venu au style ? Est-ce une passion de longue date ?

C’est quelque chose de très commun à tous les garçons (c’était mon cas et aussi celui de tous les hommes à qui je l’ai demandé) de faire une fixette sur telle couleur, telle chemise… Quand j’ai visité la France pour la première fois, j’avais sept ans et je portais un short très long, à la manière française, un bermuda. Quand je suis rentré aux Etats-Unis, je les ai portés tous les jours, je ne voulais plus les enlever ! Ils me rappelaient le style des footballeurs américains.

Toujours en France, j’ai acheté une paire d’Adidas avec deux velcros. Ce modèle n’existait pas aux Etats-Unis, alors forcément, tous mes amis étaient fascinés ! C’est le pouvoir du vêtement… J’ai toujours aimé le style. Mais je me fiche de la mode, des marques, des tendances. J’aime le fait-main, étudier la manière dont les vêtements et les chaussures sont fabriqués, comment l’artisanat a évolué et comment il pourra survivre dans notre monde moderne. Ce sont des problématiques qui m’intéressent et que j’essaie par ailleurs de soutenir dès que je le peux.

Photographié chez lui, à New York © Carmen Chan

Le film le plus stylé ?

On est à Paris, alors pourquoi pas Le Conformiste ? J’adore le style de Trintignan ! Je pense aussi à La Grande Bellezza, avec le personnage de Jeppe et son sens du style si moderne ! Et bien sûr, en France, on se doit de penser à Jean Gabin -et son style merveilleux dans Touchez pas au grisbi- ou à Lino Ventura, sans oublier tous les artistes français des années soixante, en costume-cravate, courant de café en café !

Et un film américain ?

La couleur de l’argent avec un Paul Newman vieillissant, des années quatre-vingts. Il est si beau, si cool quand il vieillit !

Sa collaboration avec la marque américaine Sleepy Jones © Sleepy Jones

Parlez-nous de vos projets. Prévoyez-vous un prochain livre ?

Oui, il sort en avril. Celui-ci se concentre sur les hommes et leurs manières ! Il questionne le comportement actuel des hommes, dans le but de les convaincre de mieux se tenir, mieux s’habiller, être plus aimables et patients… La société actuelle semble penser qu’on est un peu désinvoltes et irréfléchis, tout du moins en public. De manière générale, les gens ne semblent pas très heureux… Alors j’essaie de proposer quelques pistes pour se calmer, être plus généreux au quotidien, prendre notre temps, être plus exigeant en même temps envers soi-même… Le propos, c’est apprendre à être quelqu’un de meilleur. Être soi en mieux.

Pensez-vous à une future collaboration avec une marque ?

Je l’ai fait avec Drakes. La question est intéressante, celle de réfléchir à un accessoire ou un vêtement qui n’existe pas encore, ou de l’améliorer, penser à ces choses qui manquent à nos vies. J’aime beaucoup réfléchir de cette manière. J’ai aussi travaillé avec Sleepy Jones. Sinon, j’ai toujours voulu porter un certain type de chemise pour pêcher ! Et cette chemise de pêche va sortir dans quelques mois… J’aime en parler avec des experts, travailler de nouvelles idées, c’est une véritable source de satisfaction !

Propos recueillis par Guillaume Cadot

En savoir plus sur David Coggins

© Guillaume Cadot pour Les Grands Ducs

Le lire : Men and style, Abrams ed. 2016
Le suivre : sur son site et sur Instagram

 

 

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