Questions de style : Marc Beaugé, l’obsession de l’élégance

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25SEPT. 2018

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Questions de style : Marc Beaugé, l’obsession de l’élégance

25 SEPTEMBRE . 2018

Écrit par Thierry Richard

C’est un timide qui passe à la télé, un solitaire qui anime des équipes chez SoPress, un obsédé du style qui fut journaliste foot à l’Équipe. Marc Beaugé n’est pas à un paradoxe près. Touche à tout de talent, homme de l’écrit et de l’image, ce n’est pas le rédacteur en chef de Society, ni le boss de Larose (sa marque de couvre-chefs), ni le taulier d’Holiday (un magazine de voyage) ou même le chroniqueur de Quotidien que nous souhaitions rencontrer mais plutôt le fin analyste du style masculin, celui dont les décryptages des tenues de nos contemporains dans les colonnes de M le Monde nous font mourir de rire, par leur justesse et leur impertinence.

Propos recueillis par Guillaume Cadot et Thierry Richard

Il aura fallu plusieurs rendez-vous pour ne serait-ce qu’effleurer la connaissance encyclopédique de Marc sur le vestiaire masculin, recueillir ses conseils, sa vision et, accessoirement, partager avec gourmandise une choucroute au Bouillon Chartier.

Car ce lève-tôt (5 heures du matin en moyenne), qui est aussi un couche-tôt (“je suis assez chiant et ennuyeux au quotidien”), cultive intensément depuis sa plus tendre enfance le goût du vêtement : “J’ai longtemps cultivé des passions adolescentes pour le rock, pour le foot, pour le vêtement… Elles ne sont pas passées”. A ce titre, un de ses premiers articles écrits pour Technikart portait sur l’usage de la cravate dans le rock n’ roll, de Paul Weller à Bryan Ferry en passant par Kurt Cobain et son improbable cravate Brooks Brothers, symbole de l’establishment, sur la pochette d’un Best-Of …

Alors, lorsqu’il se découvre un arrière-grand-père tailleur de village dans le Maine et Loire, à une époque où tous les hommes, même modestes, se faisaient faire des costumes, il jubile : “J’ai récupéré les griffes qu’il mettait dans les costumes et aujourd’hui, il m’arrive d’en poser dans mes propres costumes”. Et explore le vestiaire masculin de fond en comble. Car détestant l’approximation, il veut en percer tous les secrets, les us et les coutumes avec une précision d’entomologiste. Il semblait donc tout naturel que nous lui posions quelques questions de style

Tu t’es toujours senti légitime pour porter un regard critique sur l’habillement de tes contemporains ?

Je ne sais pas si je suis légitime, mais je le fais toujours sincèrement, sans chercher à être méchant et sans émettre de jugement de valeurs. Les sujets que j’aborde sont de vraies préoccupations pour moi. D’une certaine façon, je me parle souvent à moi-même, en réalité. Est-ce qu’une veste est mieux avec 2 ou 3 boutons ? Les pantalons feu de plancher sont-il convenables ? Les bas de pantalons doivent-ils faire 22 cm ou 18 cm de large ? C’est con, mais je me pose vraiment ces questions. C’est aussi pour cela que je suis moins à l’aise pour parler de mode féminine. Parce que je considère que pour bien parler d’un sujet il faut le vivre…

Qu’est-ce que l’élégance pour toi ?

L’élégance c’est être à sa place. Ce n’est pas que le vêtement. Les gens élégants sont toujours être à leur place, par ce qu’ils disent, par la manière dont ils se comportent, dont ils bougent, dont ils interagissent. Ils n’ont jamais l’air pris de court ou ébahis.

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Précision lexicale sous la forme d’un petit gag visuel. Merci à Yvon Beaugé pour les glands.

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Tu t’habilles pour toi ou pour les autres ?

Vraiment pour moi. D’ailleurs, si je m’habillais pour les autres, ce serait raté : les gens ne se retournent pas sur moi dans la rue… J’ai un style simple, non ostentatoire mais je fais attention à ce que je mets, même en privé. Je connais le pouvoir des vêtements et quelque part, je m’en sers. Arriver dans un lieu avec un beau costume de chez Husbands, une belle épaule, la bonne cravate, le bonne hauteur de col, une belle paire de chaussures, cela donne de la force. Mettez-moi un mauvais survêtement, et je deviens totalement inaudible.

Quand tu vois dans la rue la manière dont s’habillent nos contemporains, es-tu atterré ?

Pas vraiment. D’abord parce que je suis rarement atterré. Ensuite parce que je me dis que je ne suis pas prêt d’être au chômage… Plus sérieusement, j’essaie simplement de transmettre le plaisir de s’habiller. Via les réseaux sociaux, je vois que quelques personnes comprennent où je veux en venir, pas toutes, mais certaines. C’est toujours agréable.

“J’espère ne pas être une fashion victim : dépenser beaucoup dans un vêtement à la mode, moche et qui ne durera pas longtemps, non merci.” – Marc Beaugé

Justement, quel est ton rapport aux réseaux sociaux ?

Un rapport assez distant, même si je reçois beaucoup de messages, de questions… J’essaie toujours d’y répondre, j’aime bien transmettre les quelques bricoles que je sais. En revanche, je m’expose assez peu, je ne me mets pas en photo: au fond, je trouve cela assez ridicule, la surexposition. Ridicule et peu élégant.

Que penses-tu de ces hommes, comme Steve Jobs ou Tom Wolfe, qui adoptent un style unique et s’habillent toujours de la même façon ?

Je trouve cela à la fois totalement fascinant car ils sont totalement insoumis aux tendances que l’industrie de la mode veut imposer, et en même temps totalement frustrant, car ils se coupent d’une grand partie de la richesse du vêtement. On peut aimer s’habiller sans culpabiliser, sans être fashion victim. On peut y prendre du plaisir. Mais beaucoup d’hommes ont effectivement rapport négatif aux vêtements. Ils cherchent à cacher des complexes, à gagner du temps, à faire des économies. Il n’y a pas de plaisir. Que des contraintes. C’est dommage.

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Ça sent l’été…

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Et toi ?

Moi, j’ai une névrose. J’ai des listes de choses à acheter, des listes de choses à faire retoucher, des idées de costumes, des graphiques… Je note tout dans mon téléphone. Je suis clairement un cas inquiétant.

Pour toi, l’apogée du style masculin correspond à quelle époque ?

La Riviera, les années 50-60, Capri, Jean-Claude Brialy, Alain Delon, Mastroianni, la Dolce Vita. Pourquoi ? Parce que ce sont des élégances que j’associe à une forme d’intelligence et de culture. Des images qui mêlent beauté du vêtement, beauté physique et aussi une forme de patrimoine culturel et intellectuel. Ces types-là ne s’habillaient pas pour Instagram. Ils s’habillaient par respect d’eux-mêmes, des femmes, des autres. Pour eux, le vêtement était une forme de politesse.

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Un plan à trois. (Ps: ceci n’est pas un post sur les costumes, mais sur l’allure)

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Existe-t-il encore une marge d’évolution dans le vestiaire masculin ? Ou tout a-t-il été dit ?

Personnellement, je ne suis pas sensible à la pure création pour l’homme. La mode féminine relève de l’inspiration et du geste artistique. A l’opposé, le vêtement masculin, à quelques détails près, quelques matières nouvelles, est un perfectionnement de choses anciennes, une remise au goût de références. Et c’est précisément ce qui m’intéresse : comment avec peu de choses – une paire de souliers, des baskets blanches, un T-Shirt à col rond, un jean, une chemise, un costume en fresco ou en flanelle – s’habiller parfaitement.

Comment définirais-tu ton style alors ?

Je mélange les choses, les influences, les pays. Tout le monde parle de Naples en ce moment, la souplesse, la légère nonchalance, mais l’extravagance à l’italienne me parle assez peu personnellement. Pour le sportswear, hors costume, j’aime les Etats-Unis, les chinos, les sweat shirts manches raglan, les oxford, les cravates tricot, les mocassins à glands, Alden si possible. En matière de costume, j’aime les choses assez structurées, un épaule anglaise ou française, taille haute, en fresco l’été, flanelle l’hiver, souvent croisé.  Jamais de laine rase. J’aime bien les vêtements qui “tiennent”, qui structurent le corps.

“Un homme doit essayer d’être intelligent, drôle, généreux et puis élégant. Dans cet ordre.” – Marc Beaugé

Et le style “français” dans tout ça ?

La France, c’est compliqué. Certains vous diront que le style français c’est Arnys (Berluti désormais), l’élégance Rive Gauche, des pièces déstructurées, rustiques, avec des couleurs automnales flamboyantes. Pour moi, ce n’est qu’une partie (forte) de l’équation. Car le style français c’est aussi Jacques Dutronc et la bande du Drugstore. Les mods de la fin des années 50, en Angleterre, adoraient piquer des codes esthétiques qu’ils associaient à la France, à la Jean-Claude Brialy, Les Gauloises, le journal plié sous le bras, la marinière, les mains dans les poches d’un costume les pouces à l’extérieur…Ça aussi, c’est le style français. Mais peut-être qu’au fond le style français, c’est moins le vêtement que l’attitude qui va autour. Une certaine morgue. Un regard. Un truc ténébreux.

Existe-t-il chez toi un vêtement que tu traines de déménagement en déménagement et dont tu ne t’es jamais débarrassé ?

J’ai un Macintosh prince de galles gris que je mets tout le temps depuis presque 15 ans. Il y a aussi des derby de chez Alden que je mets très souvent depuis longtemps. Et puis j’ai toujours au moins trois paires de Converse All Star dans ma garde-robe.

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Séquence émotion. Mon arrière grand-père était tailleur au Fuilet, dans le Maine et Loire. Voici les griffes qu'il plaçait sur ses costumes. #storytellingvrai #menswear #tailoring

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Une maison ou une marque chez qui, pour toi, il n’y a rien à jeter ?

Je m’habille très peu chez les marques généralistes, je préfère les spécialistes. Drakes, Hermès, ou Orslow, par exemple. Ralph Lauren aussi. Et des basiques chez Uniqlo. Et beaucoup de vintage.

Ton rapport au shopping ?

Comme j’ai un rapport très “rationnalisé” au vêtement, j’ai très peu de “coup de coeur”. Je réfléchis beaucoup avant l’achat : quelle place cette pièce tiendra-t-elle dans ma garde robe ? Avec quoi vais-je la porter ? Si c’est un costume, le pantalon est-il taille haute ou taille basse ? Pourrai-je le porter séparément ? J’achète beaucoup sur Internet. Je peux essayer tranquillement, renvoyer quand ça ne va pas. Les boutiques m’oppressent. Il faut faire vite, trancher sur le champ, écouter le vendeur donner son avis même quand on ne lui a rien demandé.

Que penses-tu de la recherche de confort, d’aisance liée à nos modes de vie contemporains ?

Le vestiaire masculin même classique, quand il est bien porté, bien coupé, à la bonne taille, est confortable. Sans aisance il n’y pas d’élégance possible. Etre élégant c’est être beau et à l’aise dans ses vêtements.

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Dans les années 90, quand elles étaient à la mode, beaucoup surnommaient les Reebok Princess (ou les Freestyle) les « pains au lait ». C’était assez bien vu. @salemsportpro

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Alors les sneakers avec le costume, c’est oui ou c’est non ? (NDLR : le débat fait rage à la rédaction des Grands Ducs)

Ce n’est pas si simple. Une paire de baskets blanches en cuir avec un costume en laine rase, c’est non. Par contre, un costume texturé avec une paire de baskets en toile, noire, marine ou écrue, des deck shoes élimés, des Converse avachies, là, oui, bien sûr. Regardez les images de Jagger à Saint-Tropez le jour de son mariage et faites pareil !

 

L’actualité
Et à découvrir le 18 octobre, L’Etiquette, le tout nouveau magazine consacré au style masculin imaginé par Marc Beaugé avec  Gauthier Borsarello, lancé par le groupe SoPress.
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