Tomàs Saraceno, sculpteur de l’indicible et de l’imperceptible  

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25JAN. 2019

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Tomàs Saraceno, sculpteur de l’indicible et de l’imperceptible  

25 JANVIER . 2019

Écrit par Joy des Horts

Avant de retrouver Tomàs Saraceno à Vienne, en Autriche, et alors que son exposition On Air se clôturait au Palais de Tokyo début janvier, retour sur le propos d’un artiste jouant délicatement avec les limites du perceptible.

Par Joy des Horts

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Tomàs Saraceno avec son oeuvre « Algo R(h)i(y)thms » au Palais de Tokyo © Gonzalo Fuentes

Laissons les clameurs d’indignation à la rue et tendons plutôt l’oreille vers une forme d’art qui transparait à peine, vers des oeuvres qui émergent et s’absentent, à la limite du perceptible…

Inframince : c’est le nom que Marcel Duchamp a donné à une dimension à la fois intellectuelle et sensible qui traduit la quête artistique des formes les plus ténues. C’est dans ces écarts imperceptibles que Tomás Saraceno tisse sa toile et dévoile, non pas des objets, mais des énergies dont nous ne percevons en temps normal qu’à peine l’activité.

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Vue de l’exposition On Air au Palais de Tokyo © Studio Tomás Saraceno, 2018

Pour cet artiste originaire d’Argentine et vivant à Berlin, l’art est un territoire ouvert et multidisciplinaire. Par sa pratique d’abord, est collective, collaborative : son vaste atelier est un lieu de recherches, de rencontres, de confluences. Par ses préoccupations aussi : ses œuvres, à la croisée des disciplines, mêlent formes poétiques, dimensions architecturales et constructions scientifiques. Il construit des moyens poétiques pour étendre nos capacités de perception à notre environnement et aux poussières infimes qui le composent : particules, poussières cosmiques, vies furtives qui bruissent dans l’infini.

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© Studio Tomás Saraceno, 2018

Au palais de Tokyo, à l’occasion de l’exposition On Air, le spectateur a pu expérimenter un labyrinthe qui fait rapidement perdre ses repères : il faut habituer sa rétine aux ambiances obscures et lumineuses qui se suivent et se répondent, et accepter de se laisser égarer au sein du parcours établi. Du noir d’encre au dédale d’étranges constellations, dentelles finement ciselées par des raies de lumière, le parcours est une véritable architecture aérienne. Mais d’où venait-elle, cette toile immense ? Le studio Saraceno les a tout simplement découvertes et recensées patiemment au Palais de Tokyo, interdisant au personnel de les déloger pendant les mois précédant l’exposition.

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© Studio Tomás Saraceno, 2018

Résultat d’un large spectre de rencontres entre différentes espèces issues des quatre coins du globe, chaque toile imaginée par Tomàs Saraceno est une architecture spéculative qui permet d’imaginer des relations, des communications et des coopérations inter-espèces, au sein d’un vaste réseau – cosmique, selon l’artiste. Le résultat est impressionnant, autant par la diversité des formes et des matières que par la beauté des créations.

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© Studio Tomás Saraceno, 2018

“Ce que l’on s’empresse habituellement de détruire d’un revers de main se trouve désormais ici élevé au rang de sculptures sensorielles.”

 

Mais l’artiste use de toutes les formes d’art à sa disposition : ainsi, lorsque Saraceno invite un clarinettiste à écrire un concerto à 4 mains (ou 8 pattes) avec une araignée, l’artiste propose une nouvelle contribution à la bio-acoustique en développant des outils capables de capter les vibratos de l’araignée sur sa toile en une nouvelle musicalité. Ces histoires invisibles nous invitent à repenser poétiquement notre manière d’habiter le monde – et à réévaluer notre manière d’être humain.

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© Studio Tomás Saraceno, 2018

Il existe chez Saraceno une analogie entre la toile d’araignée et la toile cosmique. Comme les araignées cohabitant dans un même réseau, les visiteurs de ses expositions sont invités à s’engager collectivement dans un exercice d’harmonisation planétaire au sein des activités de l’Aerocene, un projet artistique interdisciplinaire initié par Tomás Saraceno pour collaborer éthiquement avec l’atmosphère et l’environnement.

Ces activités se manifestent par l’expérimentation de structures plus légères que l’air, qui ne peuvent flotter que grâce à la chaleur du soleil, sans autres énergies ni batteries. Si ce projet réactive le mode d’être aérosolaire et réajuste notre relation avec l’air, l’Aerocene est avant tout une recherche artistique qui revêt diverses formes, à la fois une manière de faire corps avec l’environnement et de trouver une sensibilité nouvelle au monde qui nous entoure. Le défi du Palais de Tokyo était de donner à voir toute l’ampleur de son œuvre et de ces « utopies réalisables ».

Formant un ensemble de rythmes – ballets des araignées, ondes cosmiques et vibrations des visiteurs On Air et à plus large échelle l’oeuvre de Saraceno, dévoile l’indicible à la croisée du plaisir esthétique, du savoir scientifique et du manifeste écologique. Et si ce que l’on s’empresse habituellement de détruire d’un revers de main se trouve désormais chez lui élevé au rang de sculptures sensorielles, c’est sans doute que Tomás Saraceno s’accorde avec Goethe : « le beau est une manifestation des lois secrètes de la nature qui sans cette révélation seraient restées éternellement cachées ».

J.H.

Retrouvez Tomàs Saraceno, le studio Saraceno et le projet Aerocene à la galerie Tanya Bonakdar, à Los Angeles, jusqu’au 2 mars 2019, et au Karlskirche Contemporary Art à Vienne en Autriche jusqu’en novembre 2019.  
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