Intérieurs : Madeleine Castaing, tornade envoûtante de la décoration

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17AVR. 2020

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Intérieurs : Madeleine Castaing, tornade envoûtante de la décoration

17 AVRIL . 2020

Écrit par Johanna Colombatti

S’il est bien un lieu au centre de tous les intérêts, en cette période de confinement, c’est l’intérieur. L’intérieur qui révèle les goûts et les humeurs, plus encore, la personnalité de ses propriétaires… De ce constat, on a voulu tirer une série d’inspirations dans l’histoire de la décoration. Cette semaine, la reine du kitsch et de l’éclectisme : Madeleine Castaing !

Par Johanna Colombatti

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A l’arrière de la boutique de Madeleine Castaing, rue Jacob, le style Castaing, D.R

Puisque du confinement il est (toujours) question, l’envie nous a pris de (re)lire le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre (1763-1852). Le point de départ de ce récit autobiographique d’un jeune officier aux arrêts suite à un duel, est le suivant : condamné à passer 42 jours enfermé dans sa chambre, il nous invite à la rêverie en revisitant ses meilleurs souvenirs à travers les objets qui l’entourent dans cette pièce, non sans convoquer au cours de ses voyages imaginaires, une certaine fantaisie très dix-huitièmiste ! De ces grands moments de solitude où ressurgit plus que jamais le pouvoir de l’esprit… et celui de l’imagination.

Quant à nous, si l’on faisait le drôle de songe d’être enfermé 42 jours dans une chambre, gageons que c’est certainement par cette curieuse dame du nom de Madeleine Castaing (1894-1992) que nous aurions rêvé la faire décorer. Commençons donc par retracer l’histoire de ce personnage sans précédent…

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Un détail à la villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, avec une fresque de Jean Cocteau entourée du fameux « bleu Castaing », D.R

“La petite Madeleine des décorateurs”

Du romanesque, il en fut toujours question avec celle qui inventa l’une des références les plus importantes de la décoration du XXe siècle : le « style Castaing« . 

Née à la toute fin du XIXe siècle, elle devint dès l’âge de 15 ans, l’épouse du critique d’art toulousain Marcellin Castaing. C’est avec cette union rocambolesque que la légende Castaing prend forme. Madeleine est alors une adolescente férue de littérature (Chateaubriand et Proust au Panthéon de ses auteurs favoris) lorsqu’elle croise rue de La Fayette le regard d’un élégant homme mûr, de vingt ans son aîné. L’histoire raconte qu’elle l’aperçoit de nouveau ce même jour dans le train qui la conduit vers les Pyrénées avec sa mère … et qu’elle ne le quittera alors plus, s’enfuyant avec celui qui lui offrira nombre de tourments amoureux mais une vie culturelle des plus riches.

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Madeleine Castaing, D.R

Car Marcellin a plusieurs cordes à son arc pour asseoir sa réputation de séducteur hors pair : il est non seulement héritier d’une grande fortune et il a ceci de particulièrement attirant aux yeux de Madeleine (et de nombreuses autres conquêtes), qu’il est un critique d’art renommé et qu’il est extrêmement cultivé. 

Habitué à fréquenter les artistes, il va introduire la jeune femme dans ce circuit fermé de l’art contemporain d’alors, devenant ainsi tous les principaux mécènes des peintres de l’École de Paris et de l’Académie de la Grande Chaumière. 

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Portrait de Madeleine Castaing par Chaïm Soutine, vers 1929 © Metropolitan Museum of Art

De leur entourage, on pourrait citer Blaise Cendrars, André Derain, Erik Satie, Chagall et Picasso, mais celui qui participera à l’écriture de leur légende de collectionneurs sera le peintre expressionniste russe Chaïm Soutine dont ils posséderont plus de 40 toiles, dont le fameux portrait de Madeleine – désormais au Metropolitan Museum à NYC – La Petite Madeleine des décorateurs, titre clin d’œil au penchant Proustien de Madame Castaing. Du peintre, elle ne disait pas moins « Par-dessus les autres, il donne la main au Greco et à Rembrandt ».

Si Madeleine connaît une brève expérience dans le cinéma muet, prêtant ses traits expressifs aux caméras les plus expérimentales, elle affiche rapidement un penchant pour les objets d’art et leur association singulière.  

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D.R

Les débuts du “style Castaing”

C’est à ce désir d’expression artistique que répond Marcellin en lui offrant la propriété néo-classique de Lèves (près de Chartres) où elle entame son œuvre de décoration et où apparaissent les premiers signes de son style éclectique.

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A Lèves, chez les Castaing, D.R

Pour cette gentilhommière, elle crée ainsi une couleur qui définit l’allure des lieux : le fameux « bleu Castaing », sorte de turquoise intense et lumineux, qu’elle accorde volontiers à du blanc cassé et du noir, jouant aussi des contrastes grâce à l’emploi de tissus et papiers peints qu’elle réalise en collaboration avec son ami Francis Hamot et qu’elle vendra plus tard en exclusivité dans sa boutique de la rue Jacob, à Paris.

Souvent fréquentée par Soutine de 1930 à 1935, la demeure qui possède un sublime jardin d’hiver, et devient un véritable laboratoire d’expérimentations en matière de décoration. Madeleine y dessine dans les années 1950 la chaise Ballerine, qui sera plus tard rééditée par Louis Roitel.  

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La chaise ballerine de Madeleine Castaing et le fameux « bleu Castaing » à Lèves, chez les Castaing, D.R

Le bon goût y est banni mais les mélanges osés y sont rois : kitscheries et antiquités se côtoient dans ce décor fabuleux qui fera l’objet, au moment du décès de Madeleine, d’une vente aux enchères mémorable chez Sotheby’s en 2004. L’ensemble de ses possessions de Lèves et de la rue Jacob est alors dispersé au cours de deux vacations faisant le bonheur des collectionneurs les plus audacieux.

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A Lèves

Rue Jacob à Paris, la diva de la décoration

Et c’est de nouveau, grâce (ou plutôt à cause, cette fois-ci) à son mari qu’elle va prendre un nouvel envol : quand il rencontre des difficultés financières, elle se décide à ouvrir en 1947 sa propre boutique et à endosser le rôle de marchande.  « Paris était triste et vide ; j’avais en moi le besoin de dire comment je voyais et j’aimais les maisons ».

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Madeleine et Marcellin Castaing devant la boutique, rue Jacob à Paris, D.R

Mais attention, il serait trompeur de croire que le premier venu était autorisé à repartir avec une trouvaille de la fameuse boutique du croisement de la rue Jacob de la rue Bonaparte (emplacement actuellement occupé par une boutique Ladurée). Car si Madeleine choisissait avec un grand soin ses objets, il en était de même pour ses potentiels acheteurs. A ceux qui avaient la chance de lui taper dans l’œil, elle pouvait faire la conversation des heures durant mais il eut été vain de forcer le contact avec elle si elle en décidait autrement. De ces années là, lui colle à la peau le titre légendaire de “diva de la décoration”.

« Je fais des maisons comme d’autres des poèmes » – Madeleine Castaing

 

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D.R

Si la devanture de la boutique revêt un parti-pris aussi franc qu’une robe noire, elle déploie pour habiller les murs de cet étonnant écrin une palette pastel, utilisant ainsi du bleu poudré, vert amande et rose dragée, dans lequel cohabitent meubles en bambou, tissus bayadères, objets historiques, bibelots fantaisistes, papiers peints exotiques et imprimés léopards.

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A Lèves, D.R

C’est ici, à travers ce magasin aux larges vitrines, qu’elle va pouvoir présenter son style au grand public. A contre-courant de toutes les modes et avec une extravagance assumée, elle remet au goût du jour les styles décoratifs du XIXe siècle qu’elle n’hésite pas à mélanger : ottomanes en faux léopard inspirées de l’Empire, opalines Louis-Philippe, banquettes demi-lune Napoléon III, losanges et palmettes issus du vocabulaire Directoire, courbes Biedermeier … Insufflant ainsi un vent de légèreté et de poésie sur l’aménagement car comme elle le prônait si bien « Je fais des maisons comme d’autres des poèmes« .

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Chez Cocteau, à Milly-La-Forêt, D.R

D’antiquaire respectée, elle se meut ainsi peu à peu en décoratrice, faisant partager son talent poétique et son goût pour une décoration maximaliste à des clients de plus en plus nombreux.

Parmi les plus fameux, dont bon nombre lui sont présentés par le peintre Christian Bérard, on trouve Françoise Sagan, Yves Saint-Laurent, André Malraux, Jean Cocteau pour qui elle décore la maison de Milly-la-Forêt mais aussi Francine Weisweiller pour qui elle oeuvre -avec Cocteau- dans la villa Santo-Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

Laissant derrière elle plusieurs générations d’héritiers de son esthétique grandiose (avec en tête le décorateur Jacques Grange), on garde de cette grande dame l’image d’un personnage qui, jusqu’à la fin de sa vie, a déployé des trésors d’inventivité pour attirer la lumière à elle.                  

On se souvient de ce visage retenu par un élastique pour tromper le temps qui passe, peint comme un dernier tableau, longtemps assimilé à “Pierrot lunaire”. Un Pierrot au regard rieur et à l’humour ravageur !

J.C | En image à la une, la villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, D.R

On lit : Emily Evans Eermans, Madeleine Castaing, le beau livre aux éditions du Regard, et Jean-Noel Liaut, Madeleine Castaing, mécène à Montparnasse, aux éditions Payot, tous deux disponibles sur les sites d’Amazon et de la Fnac. 
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