Rencontre : la Maison Pierre Frey,

Une affaire de décoration en famille

Culture

02OCT. 2020

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Rencontre : la Maison Pierre Frey

Une affaire de décoration en famille

02 OCTOBRE . 2020

Écrit par Elsa Cau

Photographies par Jérémy Garamond

On les rencontre rue des Petits Champs, à Paris, dans la maison mère en effervescence. A eux tous, père et fils, sans oublier les fantômes du passé, ils viennent de fêter leurs 85 ans. 85 ans seulement et tant d’Histoire ! La Maison Pierre Frey, créée en 1935, n’a jamais paru si jeune. Immersion au milieu des tissus, des croquis, des idées et bien sûr des souvenirs de cette joyeuse affaire familiale.

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Patrick et Pierre Frey à Paris, en septembre.

Quand on lui fait remarquer qu’il était prédestiné, puisqu’il porte le prénom de son grand-père fondateur de l’entreprise, Pierre Frey (le jeune) sourit d’un air entendu. « Nous sommes originaires du Nord. Mon grand-père était venu terminer ses études à Paris, où il a ensuite travaillé dans différentes structures. L’une des dernières était une maison de tissus d’ameublement, où il exerçait en tant que directeur général. Là-bas, chez Lauer, il s’est rendu compte qu’il avait du talent ! » Pierre Frey (L’aîné) quitte Lauer et s’installe seul en 1935, dans ce même immeuble du 47 rue des Petits Champs.

 

 

La Maison Pierre Frey, en famille sinon rien

Le reste appartient au mythe de la success story : la Maison Pierre Frey a depuis belle lurette englouti les douze petits mètres carrés en location au premier étage, pour devenir propriétaire de l’immeuble entier du 47, dans les années 1960. Et on peut vous l’affirmer, il n’y a pas un mètre carré en trop : une fois grimpé le grand escalier en colimaçon de l’immeuble, c’est une joyeuse maison accomplie et riche, des bureaux aux archives en passant par les studios de création, qui se révèle à nous.

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« En famille, on se parle toute la journée, on se complète, on travaille très bien ensemble, en mêlant nos liens intimes et professionnels. Il n’y a pas de secret : nous partageons la même passion. » Avec un grand-père entrepreneur, un père directeur artistique de la maison depuis ses vingt-cinq ans (Patrick), un fils à la tête de la communication (Pierre), un autre directeur général (Vincent), le dernier développant la filiale asiatique (Matthieu), « c’est sûr qu’on parle principalement décoration aux réunions de famille » sourient Patrick et Pierre.

 

L’éclectisme, le maître-mot de la stratégie Pierre Frey

On ne peut pas s’y tromper, cette hyperactivité des Frey déteint sur la marque. Des showroom dans le monde entier (Paris, Cannes, Miami, New York, Boston l’année dernière et Milan cette année…), et un éclectisme trépignant : la maison se spécialise historiquement dans le tissu, mais aussi dans les papiers peints, du mobilier et des tapis sur-mesure. « C’est l’éclectisme qui nous caractérise en effet par rapport à nos confrères et concurrents, en terme de style, de produits, d’inspiration. »

Pas étonnant, donc, que tous les types de professionnels de l’intérieur se pressent chez Pierre Frey. Tristan Auer, Laura Gonzalez mais aussi Jacques Garcia, de jeunes designers japonais ou encore américains… Tous ont un œil qui leur appartient, « une passion pour les styles, l’histoire ou encore les couleurs et la matière. Ils rendent notre métier attractif et passionnant » sourit Pierre.

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Du Relais & Châteaux au Palace à New York, au loft à Dubaï en passant par des projets résidentiels partout dans le monde, la maison Pierre Frey est une vrai touche-à-tout des intérieurs. « Nous nous développons beaucoup aux États-Unis, le marché américain est en pleine croissance, friand de création et de savoir-faire français, et c’est aussi un pays qu’historiquement, dans la famille, nous aimons. » Mais comment faire pour satisfaire cette demande boulimique de tous styles et de toutes factures ? La Maison Pierre Frey, pour maintenir le niveau de son éclectisme chéri, a choisi d’acquérir successivement plusieurs maisons, faisant de l’entreprise l’un des fonds d’archives de tissus, de tapis et de papier-peints existant les plus importants.

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Les rachats commencent avec la fameuse maison Braquenié, en 1993. « Si l’on connaît Braquenié, de nos jours, pour son savoir-faire d’hôtellerie et ses tissus extraordinaires, la maison était en réalité spécialisée au XIXe siècle dans les tapis sur-mesure. Ce n’est qu’au début du XXe qu’ils ont créé leurs premières collections de tissus. Leurs archives contiennent des modèles de tapis magnifiques. Imagine, plus de 3000 documents anciens ! C’est ce qui nous a poussé d’ailleurs, il y a une quinzaine d’années, à relancer ce savoir-faire après avoir mis le nez dedans… » nous explique Pierre.

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Deux ans plus tard, en 1993, la boucle familiale est bouclée : la Maison Pierre Frey rachète Lauer, principalement pour ses archives et juste avant le décès du grand-père, qui verra donc l’entreprise de ses débuts intégrée à la sienne.

Puis, dans les années 2000, suivent l’intégration à Pierre Frey de Boussac « créée par Marcel Boussac, le plus grand entrepreneur français dans la mode des années 1950 ! Il avait aussi dans son giron Fadigny-Borghi, une très belle maison italienne de tissus soyeux, avec une patte un peu contemporaine », de Le Manach, fameuse pour ses imprimés, ses jacquard et ses velours de soie, et enfin un atelier de fabrication de mobilier, devenu Pierre Frey Mobilier. « C’est un équilibre complexe à tenir, admet Pierre quand on lui demande comment se déroule chaque intégration à la Maison, nous conservons en général les marques en nom propre du moment qu’elles ne se cannibalisent pas ! On fait très attention à perpétuer l’identité des marques, c’est un bon exercice. »

 

 

Les Prou, ensembliers et antiquaires, les figures de la famille Frey

Était-ce dans un souci d’héritage, de continuité ? En 2002, Patrick a eu l’envie de créer une marque de mobilier. Depuis, « la collection a vécu, évolué au coup de foudre, repris des catalogues. Nous embauchons, développons, travaillons avec les meilleurs artisans français, créons une collection homogène. On vient d’ailleurs de faire appel pour la première fois à des designers externes pour créer de nouvelles pièces, réalisées par les designers pointus david/nicolas, pour une collection inspirée de René Prou… »

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Geneviève Prou est venue ici, dans cet immeuble, avec des dessins de tissus. Pierre Frey est tombé amoureux d’elle comme des dessins.

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Des lendemains prometteurs allant de pair avec un bel hommage au passé : celui de Patrick Frey pour son propre grand-père, l’ensemblier René Prou. « Si tu regardes bien, tu verras certaines pièces inspirées du paquebot Le Colombie, auquel René Prou avait participé pour la décoration » nous souffle Pierre. Tout comme il avait décoré le mythique paquebot Normandie…

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En 1969, Patrick retrouve son père, Pierre, dans l’entreprise familiale. Entre temps, il avait formé son œil et sa mémoire des styles aux côtés de sa mère, décoratrice et antiquaire : Geneviève Prou. Lorsque René Prou demande à sa fille Geneviève d’aller découvrir la collection de tissus d’un certain Pierre Frey, qui venait de se lancer, il est loin de se douter que le goût Prou survivra par la famille Frey. « Elle est venue ici, dans cet immeuble, avec des dessins de tissus. Pierre est tombé amoureux de Geneviève comme des dessins. Je crois qu’il l’a invitée à dîner le soir-même. »

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Le mobilier de René Prou, les racines de la famille Frey.

Tout à coup, on observe plus précisément la pièce remplie de livres où nous nous trouvons tous les trois. Les fauteuils en fer forgé, aux lignes sinueuses et rieuses, sont bien de la main de cet arrière-grand-père tiré de son oubli, enfin, par un livre paru il y a quelques années. Patrick suit notre regard « celui-là, je l’ai acheté en salle des ventes. Son tissu est d’origine, regarde ! Mais c’est devenu intouchable… Je ne le connaissais pas, ce grand-père. Et puis il est tombé dans l’oubli, il est devenu un nom d’antiquaire, de spécialiste » nous explique-t-il. L’histoire familiale explique aussi, donc, cet amour immodéré de l’éclectisme et cette soif de découvertes constantes.

Vous collectionnez ? Demande-t-on alors. Pierre sourit « mon père collectionne tout, depuis… Aussi loin que je m’en souvienne ! Il garde tout, pire, il est incapable de se séparer de quoi que ce soitMes frères et moi sommes plus raisonnables. J’aime la charge symbolique des objets mais je n’accumule pas. Et puis, il y a tant d’histoires dans cette maison, comme tu le vois ! C’est peut-être ce qui nous pousse à continuer de créer sans forcément tout garderD’ailleurs, on a plein d’idées pour notre centenaire… »

E.C

 

On lit : René Prou, par Anne Bony et Gavriella Abekassis, éditions Norma, 65 €

Tissus inspirés, Exposition des archives de la maison Pierre Frey au MAD Paris, éditions Les Arts Décoratifs, 35 €

 

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On découvre : Verso, une collaboration avec le duo de designers libanais david/nicolas, en hommage à René Prou. Canapés, chauffeuses, poufs, paravents, guéridons et tapis, chez Pierre Frey.

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© Pierre Frey

 

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