Rencontre : Gérard Garouste,
Du Palace à la reconnaissance

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26MARS. 2021

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Rencontre : Gérard Garouste

Du Palace à la reconnaissance

26 MARS . 2021

Écrit par Aymeric Mantoux

Photographies par Bertrand Huet

Son exposition, concentrée autour du thème de Kafka, vient de s’ouvrir chez Daniel Templon à Paris (et on espère pouvoir l’admirer à partir du mois prochain)… Le Centre Pompidou lui consacrera une rétrospective en 2022. Peintre figuratif, touche-à-tout et Académicien, Gérard Garouste, le parrain de la scène française, nous a reçus chez lui, à Paris. Rencontre.

Depuis plus d’un demi-siècle, il défend la peinture figurative, qu’il considère à sa manière comme une avant-garde. Garouste (pas Elizabeth, sa femme, fameuse décoratrice et designer) est une sorte d’ogre. Mais un ogre gentil, de conte de fées. A (très) bientôt 75 ans, Gérard Garouste, à la fois peintre, graveur et sculpteur, est l’un des parrains incontournables de la scène française. Inlassable créateur, inspiré par la littérature et la mythologie, son style est reconnaissable entre tous. Il se livre à nous au cours d’un entretien chez lui, dans sa charmante maison du onzième arrondissement de Paris, au milieu de ses œuvres et de ses livres. En toute simplicité, avec sourire, gentillesse. Loin de la statue du commandeur qu’on aurait pu imaginer, et far far away des stéréotypes de l’artiste star aux mille et un caprices. C’est aussi à cela que l’on reconnaît la grandeur d’un homme à l’itinéraire pas gâté du tout. Et qui fut dans sa jeunesse l’un des artistes les plus branchés qui soient. Aujourd’hui, pendant que sa cote monte en flèche, il soigne sa coolitude en donnant beaucoup de son temps et de son énergie à La Source, une association qu’il soutient depuis des années avec de nombreux artistes et qui vient en aide aux enfants déshérités ou perdus.

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Gérard Garouste photographié en 2019 par Bertrand Huet.

Aujourd’hui vous avez enfin acquis une vraie reconnaissance, mais elle a un peu tardé à venir, non ?

Oui, comme j’ai fait des décors pour le théâtre et une boîte de nuit, on m’a longtemps enfermé là-dedans. On ne voulait pas que je fasse la Biennale de Paris à l’époque. On m’a bassiné avec ça, on ne voulait voir chez moi que le décorateur du Palace, qui n’avait rien à voir avec la peinture. On m’a gonflé avec ça pendant longtemps.

Et ça s’est arrêté quand ?

Le jour où, dans les années 80 à New York, au Studio 54, de grands artistes de l’époque, comme Julian Schnabel, y ont peint des fresques. Alors si les artistes de New York décoraient la grande boîte de la ville… Les Français se sont dit que c’était bien de considérer le travail de celui qui avait fait la même chose au Palace.

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Coriandolo, 2020 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

Pourtant les plus grands peintres ont réalisé des fresques pour des chapelles ou des lieux profanes...

Vous savez, ça, c’est le côté dogmatique de l’époque. Le paradoxe c’est que l’époque contemporaine de la fin du XXe siècle l’était aussi : il fallait être d’avant-garde, c’est-à-dire faire de l’art conceptuel. Tout ce qui n’était pas héritier direct de Duchamp était considéré comme un art ignare, amnésique qui n’avait rien compris à son époque. J’ai commencé à ce moment-là, justement, ce qui fait que très très peu de personnes me soutenaient.

A l’époque, Bernard Blistène (aujourd’hui directeur du Musée National du Centre Pompidou), m’avait dit que je ne trouverais jamais une galerie à Paris, que c’était impossible. Il m’a aidé à trouver une galerie en Italie. C’est ainsi que je me suis trouvé à faire ma première belle exposition figurative à Milan sur la mythologie et la règle du jeu.

De quand datez-vous le retour en grâce de la figuration en peinture ?

A l’époque, peu de gens y croyaient. Il y avait Schnabel aux Etats-Unis, Baselitz en Allemagne, qui étaient des peintres. Nous avions confiance en la peinture. Même quand tous, les critiques, les marchands, disaient que ce n’était plus la peine, plus à la mode. Alors ça nous a bien amusés quand on a parlé d’un retour de la peinture : parce qu’en réalité, nous les peintres, on n’a jamais arrêté de peindre !

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H'avrouta (la martre et Pinocchio), 2019 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

Mais pourquoi cette parenthèse de près d’un demi-siècle ?

En France il y a une certaine fierté qui tient à ce que l’avant-garde d’avant-guerre, Picasso, Matisse, étaient chez nous. On a perdu ça après la guerre. Et lorsque Léo Castelli lance à New York la nouvelle peinture américaine, la situation française post-école de Paris n’est pas très intéressante.

Bien de gens blessés par cela se sont attachés à cette idée d’avant-garde qui devait demeurer française. Et donc ils ont très mal vécu à un moment donné le mouvement international du retour à la peinture. Grâce à Castelli, j’ai participé en 1982 à cette grande exposition berlinoise qui consacrait le retour à la peinture figurative aux côtés d’Anselm Kiefer, mais j’étais le seul artiste français. Il n’y avait pas de Français parce qu’ils n’étaient pas soutenus par les galeries, les critiques, ni les institutions publiques.

En 2022, vous allez avoir droit à une rétrospective au Centre Pompidou.

La première que j’ai eue c’était il y a presque trente ans, il avait fallu se battre pour cette exposition qui a été boudée. J’avais quelques collectionneurs qui me soutenaient, mais à l’époque on ne parlait pas du tout de moi. On parlait de Buren, Boltanski, qui sont très bien. Mais il n’y avait pas de place officielle pour les autres.

 

Il faut se débarrasser de l’état d’esprit de ma génération qui est trop dogmatique.

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Kafka et l'écureuil, 2019 © Courtesy Templon, Paris – Brussels

Et aujourd’hui ?

Justement, ce qui est formidable c’est que tout est possible. Andy Warhol, Fernand Léger, les anciens, les modernes, Peter Dough, il y a de la place pour tout le monde. Quand j’entends tel grand marchand dire que « la peinture c’est fini », je trouve cela ridicule. Il faut se débarrasser de l’état d’esprit de ma génération qui est trop dogmatique. Moi, j’ai toujours considéré Yves Klein, par exemple, comme un grand artiste. Mais il a écrit une sorte de manifeste qui est totalement désuet.

Désuets, il le sont tous, non ?

Oui, c’est vrai. Publier un manifeste consiste en réalité à dire à tous les autres artistes « vous êtes mauvais car vous ne pensez pas comme nous » ou pire « moi ce que je fais, c’est bien, je suis moderne ». Quelle horreur. Le temps passe et il y a une magie de l’art qui permet à certains de traverser les époques. Moi je peins à l’huile sur des toiles, c’est une pratique ancestrale. Je n’ai rien inventé. Mais ce que je raconte, je le raconte avec ma manière à moi. Ce qui compte c’est ce que je dis et comment ça touche un public.

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L’autre et le toréador, 2019 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

C’est pour cela que votre nouvelle exposition à la Galerie Templon s’intitule « Correspondances » ?

Elle est basée sur la correspondance de Kafka. Le sous-titre aurait pu être « Une certaine lecture de Kafka ». En même temps cela pourrait être la correspondance entre Marc-Alain Ouaknine qui est un très grand spécialiste de Kafka, depuis plus de vingt ans, et moi. Il m’a initié à son approche de Kafka et nous avons vraiment conçu cette exposition ensemble.

Il développe pour qualifier l’œuvre de Kafka quelque chose que je trouve très intéressant pour la peinture, à partir d’une vieille synagogue de Vienne dont le nom signifie à la fois vieux et moderne. En allemand, parfois on colle deux mots a priori antinomiques pour en former un troisième, comme Alt (ancien) + Neue (nouveau), ce qui donne altneue, un nouveau mot. C’est un concept qui permet d’éviter la querelle des anciens et des modernes puisqu’on peut à la fois être l’un et l’autre. Il y a bien évidemment du altneue dans l’art en général. Altneue kunst c’est le nom de ce que je fais et grâce à cette exposition j’arrive à mettre un mot dessus.

 

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Le banquet, 2020 (Tryptique) © Courtesy Templon, Paris – Brussels

Cette notion va-t-elle au-delà de la modernité ?

Tout a de l’importance, le passé, mais aussi le présent et l’avenir. Je n’ai jamais eu dans ma pratique la nécessité de créer avec des hologrammes. Moi si j’étais musicien, je ne jouerais pas avec un piano cassé. Je n’ai pas envie de m’encombrer avec de nouvelles techniques. Je trouve que les techniques classiques ont du bon. Chacun fait ce qu’il veut. A partir du moment où je maîtrise la forme, quand je fais un tableau, commence alors l’histoire de la peinture, c’est-à-dire le sujet. Quel est ton sujet, c’est ça la question.

Alors là, justement, quel est le sujet ?

C’est Kafka. Une certaine lecture de Kafka. Un Kafka très méconnu. Le côté juif de Kafka par exemple a complètement échappé à sa traductrice historique. Or il était initié au talmud, il a eu des amis comédiens du Yiddish, et tout le monde l’a oublié. Les plus grands kabbalistes disent d’ailleurs qu’il faut lire Kafka si vous voulez bien comprendre la Kabbale. Cela me fascine complètement car on ne le voit pas du tout à la première lecture. J’ai eu de la chance avec Marc-Alain Ouaknine de percer ces mystères, d’y être initié. C’est pour cela qu’il est vraiment dans l’exposition. Il y a un film qui complète mes tableaux, sur la lecture de Kafka et nos correspondances.

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Alt-neu shul sur le Pont Neuf, 2020 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

La correspondance, c’est un peu le thème transversal de votre œuvre, n’est-ce pas ?

On est en plein dedans. Savez-vous que le seul mot en français dans l’œuvre de Kafka c’est justement… « correspondance », parce que lorsqu’il était venu à Paris il avait pris le métro et que ce mot l’avait marqué ! L’un des plus grands kabbalistes a entretenu par ailleurs une relation épistolaire avec Walter Benjamin, spécialiste de Kafka. Les correspondances sont partout.

 

Mon univers, ce sont les contes, les légendes, les mythes. Et ce qui est considéré comme religieux, pour moi est un conte.

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Le talmudiste et l’oie grasse, 2020 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

Vous êtes-vous beaucoup nourris de la littérature ?

Je ne suis pas un grand lecteur. Je me nourris de littérature à des fins très orientées, contrairement à ma femme qui lit beaucoup. Moi je ne suis pas comme ça. C’est très ciblé. C’est toujours la même chose. J’ai passé cinq ans à étudier le talmud, trois ans à lire Kafka.

Votre travail tourne-t-il autour des croyances ?

Oui c’est mon univers. Les contes, les légendes, les mythes. Et ce qui est considéré comme religieux, pour moi est un conte. Ce qui m’intéresse dans la bible c’est l’aspect mythologique. Dans les mythes, les légendes, l’histoire qui se raconte n’est pas ce qu’il y a de plus important. Ces contes sont le socle qui mettent en valeur les mots. Ce qui compte c’est ce qu’on va faire avec ces mots. C’est une mise en scène des mots. Voilà ce que nous apportent les érudits, les kabbalistes, leur décryptage, en faisant correspondre par exemple à chaque lettre un chiffre. On peut s’amuser avec ça et découvrir des choses tout à fait étonnantes. Kafka jouait avec ça et personne ne le savait. Nous avons voulu le voir et le lire autrement.

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Dora Diamand, 2020 © Courtesy Templon, Paris - Brussels

Vous semblez vous intéresser à tout, mais qu’est-ce qui vous inspire vraiment ?

Qu’est-ce que l’intuition ? Est-ce qu’elle existe au départ de l’action ou pas ? C’est très difficile à dire. J’ai remarqué qu’il y a des gens qui s’en foutent et que la quête de la connaissance n’intéresse pas. Chacun fait ce qu’il veut. Moi, depuis ma jeunesse, j’ai toujours eu l’impression par exemple que les textes que je lisais, comme au catéchisme, étaient faits pour autre chose que ce qu’on y trouvait. Qu’on pouvait y lire autre chose. Les années passant j’ai toujours eu ce sentiment. C’est ce qui m’a donné l’intuition que derrière les apparences d’un texte il y a autre chose. Cela a développé ma curiosité. Qui n’est jamais rassasiée !

C’est incroyable ça !

Quand je lis les Métamorphoses d’Ovide, je me dis que l’homme est extraordinaire à créer des mythes, des religions comme ça. Mon intuition c’est de farfouiller, d’être un véritable enquêteur sur ce qu’il y a derrière. Le texte biblique est génial pour ça. Il se présente comme un discours de vérité. Pourtant il y a un âne qui lui barre le chemin et qui parle à son maître, qui elle ne le voit pas. Or pour les juifs c’est une prophétie très importante. Ce qui est extraordinaire c’est ce mélange entre quelque chose de vraisemblable et quelque chose d’invraisemblable.

 

Propos recueillis par A.M | Photographie à la une © Jean-Francois Robert


Gérard Garouste,
Correspondances,
Du 25 mars au 19 juin 2021,

Galerie Daniel Templon,
28 rue du Grenier-Saint Lazare
Paris 3e

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