Rencontre : Jean-Daniel Lorieux,
Sous le soleil exactement

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30MARS. 2021

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Rencontre : Jean-Daniel Lorieux

Sous le soleil exactement

30 MARS . 2021

Écrit par Guillaume Cadot

Photographies par Jean-Daniel Lorieux

Jean-Daniel Lorieux n'est plus vraiment à présenter : immense photographe de mode français, des contrats avec les plus grandes maisons de luxe, la découverte des plus beaux top modèles... Le soleil n'est jamais très loin du photographe à la carrière flamboyante. Il a côtoyé le show-biz, garde une attache profonde du côté du Rocher et de la famille princière, tutoyé les Chirac. Ses photos sont comme une bulle, hors du temps, hors du monde, teintées d'un érotisme joyeux, à l'humour assumé. Une manière d'oublier la réalité. Rencontre.

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Votre nom évoque immédiatement le soleil, les poissons, les belles filles… C’est un peu votre signature, non ?

On peut dire que je poursuis le soleil, oui. Et la mer n’est jamais loin. Cette histoire de poisson, je la dois à ma rencontre avec un mannequin américain, Triffina Hout. Elle fut championne de ski nautique et détient un record de pêche sportive de white marlin ! Elle était un peu fofolle, je l’aimais beaucoup. On s’entendait tellement bien que nous avons eu un fils ensemble, Nickolas, photographe lui aussi aujourd’hui. J’ai fait une photo d’elle portant deux gros white marin avec la mer en arrière plan. C’est devenu ma photo la plus emblématique, je pense.

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Pourquoi toujours des photos baignées de lumière et de corps de rêve ?

J’ai fait la guerre d’Algérie 28 mois. Cela m’a bouleversé. Tous ces morts, ces corps, j’en ai beaucoup souffert. Je faisais des photos de guerre dans un service héliporté, j’ai vu des choses horribles. Quand je suis rentré, j’ai voulu balayer tout ça de mon esprit. J’ai démarré au studio Harcourt grâce à ma mère qui connaissait Cosette Harcourt. Mais la photo de studio, ça m’emmerdait. J’avais besoin d’espace et de lumière.

En fait, j’ai toujours eu envie de fuir la réalité ! Même dans de beaux studios, j’avais besoin du soleil, du ciel bleu, des plages et des belles femmes. Fuir la réalité de la vie, amener du rêve, de l’humour, de la joie. On a tous besoin de cela…

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J’ai beaucoup travaillé avec Claudia Schiffer, Karen Mulder, Stephanie Seymour… Les mannequins de cette époque étaient de grandes femmes, belles, joyeuses, en pleine forme. Quand elles posaient pour les couvertures des grands magazines comme Vogue ou Harper’s Bazaar elles avaient le sourire. Elles donnaient du bonheur. C’était du plaisir et de la joie de vivre. J’ai toujours cherché cela dans mon travail.

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Vous avez pourtant commencé par le cinéma n’est-ce pas ?

Dans les années 20, l’un de mes oncles a construit les studios de Boulogne-Billancourt. J’aimais bien aller là-bas. J’ai été assistant de Marcel Carné sur le film Les Tricheurs. J’aurais bien voulu être réalisateur. Mais je n’ai aucune concentration ! Je m’étais inscrit dans la grande école de théâtre de l’époque dirigée par René Simon (devenu le Cours Simon par la suite, ndlr). Mon professeur était Pierre Mondy !

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Avec Stéphanie de Monaco pendant le tournage du clip de "Comme un ouragan".

Pour mon premier rôle, je remplace un acteur nommé …Jean-Claude Brialy. Il jouait dans la pièce Les Portes Claquent. Mon nom avait remplacé le sien sur l’affiche. Quelle déception pour le public quand j’apparus sur scène. Les gens ne lisent pas les affiches… J’ai aussi joué dans de petits films. C’est d’ailleurs grâce au film Les Nymphettes -il n’était pas terrible ce film- que je me suis retrouvé photographe de guerre en Algérie au lieu de simple soldat. Il y a avait des affiches du film à Alger et mon commandant les avait vues.

Et dire que j’ai fait des études d’ingénieur chez les jésuites, l’école des Arts et Métiers. J’ai même failli entrer dans les ordres et j’ai fini dans le désordre ! En guise de cinéma, j’ai surtout réalisé le clip de la chanson Comme un ouragan avec Stéphanie de Monaco…

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Revenons à la photographie. Vous avez aussi travaillé sur Le Maître et Marguerite, le roman photos le plus cher jamais réalisé...

L’auteur de ce livre, Mikhaïl Boulgakov, a mis plus de 10 ans pour l’écrire entre 1927 et 1939. En 2008, j’avais une exposition de mes photos à Moscou. Je me retrouve à dîner avec l’homme d’affaires russe Evguéni Iakovliev qui m’explique avoir été marqué par cette œuvre et qu’il souhaite la faire connaître au grand public en la mettant en images. Il rêve d’ Isabelle Adjani pour interpréter Marguerite. Je l’appelle sur le champ, on se connaît bien pour avoir déjà travaillé ensemble, et je lui passe au téléphone ! Il était très impressionné. Le shooting s’est fait à Moscou en extérieur, il y avait une quarantaine de comédiens, des décors inouïs, Isabelle Adjani, des moyens techniques incroyables, beaucoup d’argent dépensé. L’exposition fut un succès jusqu’à Paris !

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Karen Mulder pour Céline, Madison avenue, New York, 1995

Comment voyez-vous votre métier de photographe ?

J’aime l’action, la beauté, faire naître le désir. Mais avec de l’humour. Il faut mettre en scène une photo, les coulisses sont très importantes. Il faut être heureux soi-même pour que tout le monde soit heureux de faire une photo ou une campagne publicitaire. Pour faire une belle image qui apporte de la joie, il faut l’être, joyeux ! Les années 80 ont été formidables pour l’énergie et la bonne humeur dont mes photographies transpirent, justement ! On emmenait des mannequins très connus au bout du monde, certaines ne voulaient même pas être payées car on s’amusait, on vivait dans le luxe. On était heureux et contents de travailler. 

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Il me paraît essentiel d’admirer, dans ce métier. J’aime admirer les autres. D’autres photographes comme Richard Avedon, un homme élégant, Helmut Newton que j’ai bien connu ou encore Guy Bourdin qui avait un talent fou, ont toujours été inspirants pour moi. Même si j’ai un style différent. Être photographe, c’est avoir un regard différent, un angle différent des choses. Les célébrités ont aussi ma profonde admiration. J’ai travaillé avec beaucoup de personnalité et leurs talents m’ont toujours rappelé qu’il fallait rechercher le meilleur et exceller dans sa tâche.

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On raconte que c’est par une femme que vous tombez dans la marmite de la mode.

Les femmes ont rythmé ma vie artistique, c’est vrai. J’ai toujours été passionné par Charlie Chaplin et j’ai eu une petite histoire d’amour avec sa fille, Géraldine Chaplin. Quand elle venait me voir à Paris, elle faisait du vélo dans mon grand appartement… Un soir, on se retrouve à dîner au Club Sept avec Pierre Cardin, ami de Géraldine. Il raconte qu’il veut faire une photo avec trente des plus beaux mannequins masculins pour sa campagne de pantalons Cardin. Il cherche un photographe, Voilà comment je me retrouve à frapper à la porte de Publicis, qui gère la campagne, avec en main la carte de visite de Pierre Cardin. Pas besoin de présenter son book dans ce cas, on m’a pris tout de suite !

J’ai loué les studios de Boulogne-Billancourt. J’avais proposé à Pierre Cardin de mettre une femme au milieu des hommes. L’agence m’a demandé mes honoraires, j’en avais aucune idée. Je suis allé à Neuilly à la concession Rolls-Royce Bentley et j’ai choisi une Bentley châssis long que j’ai toujours. Je me suis fait payer en Bentley !

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Pour Pierre Cardin en 1972.

Il n’y aurait pas eu Jean-Daniel Lorieux sans Vogue et la Bentley, n’est-ce pas ?

Absolument ! Et sans la rencontre avec les Chirac non plus ! Tous les photographes de l’époque roulaient avec de belles automobiles : Newton en Bentley, Bourdin en Bugatti, Sieff en Aston Martin.. Quand on arrivait chez Vogue place du Palais-Bourbon, on ne voyait que de belles voitures stationnées devant. 

Quand j’ai rencontré pour la première fois le directeur de Vogue, Robert Caillet, je roulais en Fiat 500. Il déjeunait tous les midi au Maxim’s Business Club avec sa bouteille de Chivas. Je lui ai expliqué que je voulais faire des photos pour son magazine. A la sortie du restaurant, il me demande ce que j’ai comme voiture et je lui montre. Il rétorque que je ne peux pas aller à des rendez-vous avec une telle voiture ! Quand j’ai eu la Bentley, je suis allé directement me garer devant le Palais-Bourbon. Je suis monté chez Vogue. Robert Caillet me lance “Qu’est-ce que tu veux petit ?” On se dirige vers la fenêtre de son bureau et je lui montre la voiture. Il décroche son téléphone et appelle la rédactrice en chef en expliquant qu’un jeune photographe allait travailler pour Vogue !

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Françoise Hardy pour Louis Féraud en 1970.

C’est aussi grâce à la Bentley que vous avez rencontré celui dont vous allez gérer l’image… Jacques Chirac !

Je vivais seul à Mougins avec mon jeune fils. J’allais souvent à l’Eden Roc et on me connaissait là-bas grâce à l’auto. Un jour, au moment où je me gare pour la laisser au voiturier, quelqu’un s’appuie à ma portière et tonne, avec une grosse voix “oh, quelle belle voiture !”. Je lève la tête et je vois un bel homme bronzé : le Premier Ministre Jacques Chirac. On est en 1987.  Il me lance “Est-ce que je peux vous demander une faveur ? Peut-on faire un tour avec ma femme ? – Mais bien sûr monsieur le Premier Ministre…” Ils s’installent à l’arrière, il y a une vitre qui sépare le chauffeur des passagers. Il s’amuse à monter et baisser la vitre de séparation. Et tout à coup il lance “quand je suis installé comme ça avec mon épouse à l’arrière de cette voiture, je me sens comme un Président de la République !”

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Avec Jacques Chirac.

On déjeune ensemble, il me demande ce que je fais. Je lui propose de faire quelques photos d’eux dans ce lieu de villégiature. Il accepte. Quelque temps plus tard, le téléphone sonne, c’est Charles Pasqua. Il me demande de faire les photos de la campagne présidentielle de Jacques Chirac contre François Mitterrand. J’accepte et on se retrouve au Maroc pour faire le shooting. En pleine campagne présidentielle, je reçois un pli siglé République Française livré par deux gendarmes : “Cher Monsieur, bravo pour vos images de notre Premier Ministre, en espérant qu’il garde le même sourire jusqu’au deuxième tour !” Signé François Mitterrand.

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Jacques Chirac avec Nickolas Lorieux, pour la campagne présidentielle de 1988.

Vous vous êtes aussi essayé à la peinture.

J’avais travaillé avec le cigarettier Philip Morris pour un shooting aux Maldives. Cela nous a donné l’idée, au directeur artistique de Vogue et à moi-même, d’imaginer une publicité pour Marlboro. On décide de partir à New York rencontrer Andy Warhol pour lui demander de travailler sur ce projet. Je suis resté avec lui et son équipe dans son atelier pendant quelque temps. Je lui avais acheté quelques toiles à l’époque. Il y avait plein de dessins sur le sol, dont des Basquiat… j’aurais dû les ramasser ! Je me suis exercé à la peinture en reprenant la technique de Warhol : prendre une photo et en faire le contour avec de la peinture ou un crayon. J’ai ainsi réinterprété mes photos avec ce type de dessin. J’en vends même quelques-unes !

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Anne Von Brussel chez Alain Delon, Marrakech en 1988.

Que retenez-vous de votre immense carrière ?

Si on a la volonté de faire des choses, on y arrive. Il faut le vouloir. Cela nous donne une combativité joyeuse. Vivre des moments difficiles donne de la force. Il faut remontrer du bonheur en se donnant la main.

Propos recueillis par G.C

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Aux Seychelles, en 1982.

Bonus : la “rencontre” de Jean-Daniel Lorieux avec Frank Sinatra

Jean-Daniel Lorieux se trouve au Caire avec Vogue pour un shooting Balmain. Frank Sinatra réside dans le même hôtel. Est prévue la visite d’un hôpital accueillant des enfants. Sinatra et son équipe passent de chambre en chambre et les enfants entonnent Strangers in the night… Mais Sinatra est au plus mal, il se tourne vers Jean-Daniel : “where is the loo?” Il se précipite aux toilettes avant de crier “Photographer ? No paper here!”. Jean-Daniel a toujours des mouchoirs en papier dans son sac pour nettoyer ses objectifs. Il tend un paquet de mouchoirs à Sinatra accroupi dans des latrines sordides.

Le lendemain, c’est soirée de gala, un dîner est donné pour Balmain. Au moment du dessert, Frank Sinatra monte sur scène pour chanter, les pyramides éclairées en arrière-plan. A la fin du récital, il descend de scène et lance en regardant Jean-Daniel Lorieux : “thanks Mr Kleenex !

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Pour Amelie Pichard, en 2018.

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