Portrait d’artisan : Frantz Wehrlé,
La nouvelle génération des peintres-décorateurs

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20AVR. 2021

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Portrait d’artisan : Frantz Wehrlé

La nouvelle génération des peintres-décorateurs

20 AVRIL . 2021

Écrit par Johanna Colombatti

Photographies par Antonin Amy-Menichetti (photographie à la une)

La culture est morte, vive la culture ! Parce qu’on est las d’attendre la réouverture des musées, les Hardis partent aujourd’hui à la rencontre d’artisans d’art surprenants. Cette semaine, on se penche sur Frantz Wehrlé, jeune peintre décorateur qui (re)donne vie à des décors d’exception de Paris à New Port en passant par l’Italie… Pleins feux sur ce jeune artiste aux allures de dandy qui contribue à faire rayonner le célèbre « savoir-faire » français !

Il est de ces métiers dont la France a encore le secret, dans lesquels de nombreux artisans œuvrent à préserver et transmettre le meilleur du savoir-faire français…  Sous les pinceaux de l’artisan, peintre-décorateur Frantz Wehrlé, c’est tout un patrimoine qui ressurgit à travers des chantiers disséminés aux quatre coins de l’Europe, et qui séduit grandement la clientèle américaine, particulièrement friande de ces traditions décoratives du Vieux Continent.  Frantz fait partie de cette jeune génération talentueuse, cultivée et élégante, qui met son talent et sa passion au service de la renaissance et création d’œuvres ornementales, naviguant du XVIème siècle à nos jours avec une curiosité insatiable… Bienvenue dans le Retour vers le futur de la culture française !

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Comment est née ta vocation de peintre décorateur ?

J’ai 35 ans, je suis peintre décorateur depuis dix ans. J’ai commencé ma formation aux Beaux Arts en étant très avide de technique mais j’ai été un peu déçu par cet enseignement très tourné vers le conceptuel et je me suis orienté vers une formation plus technique à Bruxelles : Van der Kelen, l’une des plus vieilles écoles au monde qui enseigne les techniques de peintures décoratives, faux marbre, faux bois… Un peu le Poudlard de la peinture décorative !

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Et cette vocation, d’où la tiens-tu ?

C’est une histoire de famille car cela fait des générations qu’on baigne là-dedans ! Mon père est graphiste et ma mère illustratrice, mes grands-parents antiquaires d’un côté et peintres en décor de l’autre. Je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit ! J’ai toujours adoré visiter des musées, des châteaux, observer les grands décors d’opéra. 

J’admire tout ce qui est ornementation et c’est quelque chose qui tend à disparaître, aujourd’hui on est sur des tendances minimalistes en termes de décors et scénographies… Il est vrai que ce n’est pas un métier totalement tourné vers l’avenir mais je suis très heureux de l’exercer !

 

J’admire tout ce qui est ornementation. Malheureusement, elle tend à disparaître avec la tendance minimaliste dans les décors et les scénographies actuelles… 

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Hôtel Le Marois - Comité France-Amériques, Avenue Franklin Roosevelt, Paris. Frantz y a restauré les décors de faux-marbres et de faux-bois, effectué des retouches et des reprises à l'identique.

La fréquentation des musées a, j’imagine, également participé à former ton regard ?

Il y a beaucoup de lieux qui me sont chers, mais c’est vrai que j’ai adoré visiter la Suède où il y a eu une pratique du décor incroyable au XVIIIe siècle. Là où plus bas en Europe, on s’est lâchés sur les jardins, eux, avec un climat rude et peu de lumière naturelle, ont vécu un peu reclus dans leurs palais et en ont fait des choses  incroyables ! Mais il y a vraiment des décors sublimes à toutes les époques, dans tous les pays et si j’adore le XVIIIe siècle français, je peux trouver un décor aztèque du XIIe siècle magnifique, ou m’émerveiller devant un décor Art Déco américain…

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Dans un château privé, en Belgique, Frantz a réalisé le décor d'une piscine intérieure en faux-marbre, trophées et palmettes en grisaille.

Y a-t-il des peintres ornemanistes qui t’inspirent particulièrement ?

Il y a tous ces ornemanistes incroyables du XVIIIe siècle et pour cela on peut remercier Jacques Doucet qui a légué sa bibliothèque iconographique magnifique à l’INHA (accessible numériquement). On trouve tous les recueils que je consulte en permanence, de vraies bibles ! Tous les artisans au XVIIIe ou XIX siècle, que ce soit des peintres, des sculpteurs, des décorateurs de porcelaine, des tapissiers, s’inspiraient de ces œuvres gravées qui circulaient. Par exemple, tout le travail des frères Rousseau qui est une alliance d’éléments sculptés et d’éléments peints en trompe l’œil qui s’enchevêtrent, pour moi il n’y a rien de plus beau, c’est la quintessence des arts décoratifs !

Il y a deux aspects dans ton travail : celui de restaurer et puis celui de véritablement créer un décor complet, quels sont les enjeux de ces deux facettes ?

Je n’ai pas vraiment la casquette de restaurateur car c’est un métier à part, mais il est vrai qu’il m’arrive souvent de travailler sur des chantiers où je vais intervenir pour de la restitution. Un restaurateur va travailler sur un décor abîmé qui a besoin d’être conservé, nettoyé et moi je vais restituer des éléments manquants sur les parties à motifs répétitifs par exemple. Ou parfois ce sont des restitutions plus réinterprétées, c’est à dire qu’on sait qu’il y a eu un décor de ce type-là : on a une photo en noir et blanc et on essaie de refaire quelque chose dans l’esprit…

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Résidence privée à Newport (Etats-Unis), où Frantz a réalisé un décor de faux-marbre blanc veiné.

Et la carte blanche, ça prend une autre ampleur?

Il y a plusieurs cas de figure, soit on est contactés par quelqu’un qui a une idée très précise et il faut s’adapter au choix du client, mais parfois c’est carte blanche totale. Moi j’aime m’imprégner de l’architecture existante car un décor correspond avant tout à des volumes. L’enveloppe et le mobilier dictent souvent le décor.

Quel genre de clientèle fait appel à toi ?

C’est une clientèle très diverse : des particuliers pour un appartement à Paris, un château à la campagne ou bien des architectes et des décorateurs pour des lieux de vie ou pour des hôtels, des restaurants, des banques… 

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Résidence privée à Newport (Etats-Unis), où Frantz a réalisé un décor de faux-marbre blanc veiné : le décor terminé dans la salle de bal.

Tu dois toi-même faire appel à d’autres corps de métiers à ton tour j’imagine, notamment pour l’approvisionnement en fournitures ?

Il y a beaucoup de métiers connexes au mien en effet : des menuisiers, des peintres en bâtiment, des tapissiers… Pour les fournitures, c’est très variable, cela peut aller de la grande enseigne à la petite quincaillerie perdue pour trouver la poudre de perlinpinpin … comme Laverdure par exemple, vers Bastille, qui est un lieu génial. A Bruxelles, il y a la Droguerie du lion où on a l’impression d’entrer dans une quincaillerie vieille de cent ans où on pourrait trouver des crapauds séchés dans des bocaux !

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Un projet de décor réalisé en Italie.

On imagine un quotidien hors du temps, quelle est la journée type d’un peintre décorateur ?

Il n’y a pas vraiment de journée type, les jours se suivent et ne se ressemblent pas : un jour je suis à l’étranger en train de faire une fresque, le lendemain je suis à Paris avec mon échelle sous le bras, le surlendemain je fais ma comptabilité…

Comment arrive-t-on à vivre pour autant dans le XXIe siècle en ayant toujours un pied dans le passé ?

On travaille essentiellement dans de beaux endroits où l’on passe parfois des semaines, des années en immersion dans un lieu avec des gens, c’est effectivement très plaisant… On découvre des endroits auxquels on n’aurait pas accès autrement, on ne fait jamais la même chose, on ne s’ennuie pas une seconde !

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Un projet de décor réalisé en Italie : dans une chambre, un plafond et les murs peints...

Tu dis “on”, il me semble d’ailleurs que tu travailles en équipe ?

Oui, j’ai une collaboratrice avec laquelle je travaille depuis dix ans, Eloïse d’Argent. Et parfois suivant les tailles de chantier, on peut aussi faire appel à de la main d’oeuvre supplémentaire, qui nous aide sur certains projets.

Ce métier fonctionne-t-il encore un peu comme une corporation ?

Oui un peu, même si ce n’est pas vraiment une corporation, il y a quand même un réseau d’artisans, on se retrouve souvent sur des chantiers et parfois nous allons nous-mêmes travailler pour d’autres !

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Frantz en plein travail à l'Hôtel Le Marois - Comité France-Amériques, Avenue Franklin Roosevelt, Paris.

Quel était le chantier le plus excitant que tu aies réalisé ?

Je viens de travailler au Hameau de la Reine, au boudoir de Marie-Antoinette : j’étais appelé en renfort par des collègues pour peindre des façades en trompe l’œil. On intervenait pour des éléments qui avaient disparu, en suivant les directives de l’architecte en chef des monuments historiques, qui nous avait donné un plan précis de ce qu’il voulait. Comme tout était fermé pour cause de Covid, on était quasiment seuls dans le hameau, un sentiment incroyable !

Et un nouveau projet pour lequel tu fais de la céramique, comme je viens de le découvrir dans ton atelier ?

Oui, c’est pour un client très important qui nous a commandé tout un décor peint sur émail ! C’est assez nouveau, on peint sur des carreaux de faïence à la manière des azulejos portugais. Il y a une dimension très créative derrière ce genre de projets :  on passe beaucoup de temps à concevoir un décor, on cherche une iconographie, on fait des élévations des décors mis à l’échelle, et on fait plusieurs projets pour que le client choisisse.

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Dans la mesure où vous avez carte blanche, vous arrive-t-il parfois de glisser des clins d’œil dans le décor comme au Musée de la Chasse où l’on peut voir une souris feinte dans les plinthes ?

Oui ça nous arrive très souvent et ça nous amuse beaucoup ! D’ailleurs, il y a un décor qui me fait beaucoup rire dans la galerie des cerfs du château de Fontainebleau qui représente de grandes cartes en partie haute et des faux bas lambris et mascarons en partie basse… Quand on regarde attentivement les mascarons, on remarque qu’ils ont des têtes connues : il y a Johnny Hallyday, le général de Gaulle, tout un tas de personnalités des années 60, il fallait oser !

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Et si on terminait par le projet de rêve qu’on pourrait te souhaiter ?

En réalité, cette année j’ai été très gâté ! Notamment avec un projet dans une très belle villa en Toscane que je viens de terminer. Il y avait beaucoup de décors mais dans cette pièce, une chambre, plus rien. Les propriétaires ont trouvé un plafond ancien qui correspondait aux dimensions de la pièce, qu’ils ont fait installer et restaurer, ils m’ont demandé d’imaginer la suite sur les murs. Il s’agit d’un décor très néoclassique, avec de grands panneaux de grotesques, d’animaux, de fleurs, de rinceaux. Il fallait un rendu très patiné, c’était complexe mais très plaisant à faire ! Et puis, ces projets de carreaux de faïence m’emballent beaucoup, ça me donne de nouvelles perspectives, j’ai envie de creuser tout ça : je suis très curieux, assez touche-à-tout et j’aimerais bien passer aussi à la sculpture un jour…

Propos recueillis par J.C


Suivez Frantz Werhlé sur Instagram : @frantz.wehrle et sur son site

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