En cuisine, les Français et leur goût acide

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17MAI. 2021

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En cuisine, les Français et leur goût acide

17 MAI . 2021

Écrit par Morgan Malka

Les Italiens ont l’amer. Les Japonais l’umami. Qu’en est-il du goût français ? L’acidité bien sûr ! Verjus, vinaigre, citron, moutarde et même yaourt et tomates… Enquête sur ce goût très français et rassurant, qu’on assume à nouveau sur nos tables.

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C’est sans s’avancer qu’on peut affirmer que nos voisins Italiens possèdent une affection prononcée pour l’amertume. Artichauts, fèves, asperges, huile d’olive mais aussi herbes potagères ou sauvages tels que la cicoria, les bruscandoli, carletti ou autres radicchi et scarola. Au Japon et plus largement en Asie, la quête de l’umami, encore difficile à définir pour nos palais occidentaux, est profondément ancrée dans les palais. Certains Chinois traduisent cette cinquième saveur par « le goût délicieux », c’est dire.

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Qu’en est-il alors du goût français ? Notre pays possède un vaste littoral, des champs et des cultures prolifiques, de vastes territoires viticoles, des forêts giboyeuses, assez de ressources pour que notre goût soit varié et multiple. Il faut reconnaître qu’on ne mange pas la même chose à Menton qu’à Paimboeuf. Pourtant, une saveur domine, un goût au moins hérité depuis le Moyen-Âge, un goût qui n’est pas si évident quand on y pense, et pourtant. Les Français aiment l’acidité.

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Aux origines du goût acide, l’acidité naturelle du verjus

Très tôt, alors qu’ailleurs on cultive le goût du sucre ou de l’amertume, les Français recherchent l’acide et se passionnent pour le verjus. Celui-ci ne désigne pas un produit spécifique mais plutôt une multitude d’entre eux, il peut être un jus d’oseille, de raisins verts, de baies, de pommes sauvages, l’essentiel étant d’obtenir un liquide acide. Il sera, avec le temps, exclusivement produit à partir de raisins n’ayant pas mûri et son succès sera phénoménal. Sa fonction ? Équilibrer le goût parfois trop gras des plats en apportant de l’acidité. Gibiers, escargots, abats, viandes rôties mais aussi poissons, les cuisiniers d’alors usent et abusent de verjus.

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La noblesse française va même jusqu’à s’attacher autour du cou une petite flasque contenant du vinaigre afin de pouvoir assaisonner sa gigue de chevreuil.

 

L’arrivée du vinaigre sur les tables françaises

Avec l’arrivée du vinaigre, le petit raisin vert va devenir plus rare et disparaître des manuels. La noblesse française va même jusqu’à s’attacher autour du cou une petite flasque contenant du vinaigre afin de pouvoir assaisonner sa gigue de chevreuil lorsqu’elle se présente. On pense alors que ce qui est produit par l’homme est supérieur à ce qu’offre la nature.

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La fabrication du vinaigre va se diffuser et certaines régions comme la Champagne ou l’Orléanais vont exceller dans sa mise au point. Les Français possèdent une autre particularité, celle d’apprécier les crudités, car ailleurs on ne consomme pas nécessairement les légumes crus, y compris les salades. Ces salades, le Français les aiment en vinaigrette.

 

La vinaigrette, une histoire d’amour française

Sans moutarde, pas de vinaigrette. Depuis son introduction par les Romains, la moutarde sera elle aussi un succès, développée à Dijon, Paris, Meaux mais aussi Bordeaux, Tours et Reims ou plus généralement, partout où l’on produit du vin. Au XVIIIe siècle, la moutarde est omniprésente sur les tables aristocratiques et les salades sont indissociables des plaisirs culinaires.

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La moutarde des champs, à l’origine de notre moutarde tant appréciée.

 

L’acidité équilibre l’excès de gras, stimule les papilles, facilite la digestion et détermine en grande partie le goût français.

 

Un petit agrume doré, le citron, séduira lui aussi nos cœurs dès son introduction en France. Ces produits – verjus, moutarde, vinaigre, citron- entrent parfois en concurrence ou au contraire se complètent. L’acidité équilibre l’excès de gras, stimule les papilles, facilite la digestion et détermine en grande partie le goût français. Tous nos plats de tradition sont rehaussés par l’ajout de l’un d’entre eux.

Quand ce n’est pas le cas, c’est que le vin vient jouer ce rôle, rouge ou blanc. Lui aussi apporte, entre autres choses, une dimension acide. Notre amour des produits laitiers est lui aussi lié à cette passion, pire, n’ajoutons-nous pas une rasade de citron dans certaines sauces à la crème pour en renforcer encore la saveur ? Cette passion acide est parfois mal comprise de nos voisins et jugée excessive.

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Discrets acides et raviveurs de plats

Mais les acides se cachent parfois là où on ne s’y attend pas nécessairement. Tomates, épinards, abricots, cerises, prunes, pêches, poires, fraises, baies, fruits à coques, champignons, levains, farines, chocolats, viandes rouges, abats, charcuteries, poissons gras, crustacés, miels, câpres et cornichons, cafés ou thés, l’acidité est partout dans nos assiettes et plutôt que de vouloir équilibrer ce goût, nous le renforçons en ajoutant du vinaigre sur nos tomates ou un jus de citron sur nos fraises. Vous n’ajouteriez pourtant pas de sucre sur du miel ? Certains nous perçoivent ainsi. Dans la célèbre émission Top Chef, les cuisiniers hurlent et suent : « Plus de peps ! » Ce peps qui va réveiller un plat, chez nous, c’est l’acidité.

 

N’importe quel gastronome indien userait d’épices, un Asiatique utiliserait de la sauce soja : notre exhausteur à nous, c’est l’acidité.

 

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L’acidité à nouveau assumée chez les Français

La fermentation produit elle aussi une dimension acide, justifiant (en partie) notre intérêt prononcé pour l’alcool, en plus des autres plaisirs qui lui sont associés. Bière, vin, spiritueux, l’acidité nous rassure et nous réconforte. Pourtant le paradoxe est là, quand on la mentionne, certains crissent des dents, comme lorsque l’on frotte une craie sur un tableau noir. L’acidité provoque une réaction spontanée de rejet. Essayez avec des enfants, vous verrez. Ce goût mal compris est pourtant profondément ancré dans nos usages alimentaires. C’est notre quête du goût délicieux.

Longtemps boudé, abandonné aux plus vulgaires des vinaigres, ce goût est de plus en plus assumé, il revient en odeur de sainteté. On produit à nouveau d’excellents verjus en Périgord. Les plus grands vignerons cèdent leurs vins aux vinaigriers comme à Banyuls-sur-mer avec la belle production de Nathalie Lefort pour produire de grands crus de vinaigres. La célèbre moutarde de Dijon explose ses records de vente, le français se réconcilie avec son goût inassumé, il en fait une fierté, un étendard et porte haut le goût français : le goût acide.

M.M


En bonus, une recette acide des Renards Gourmets par ici : une ravigote de langoustines aux févettes et aux herbes… 

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