Rencontre : Hopare, jeune prodige du street art

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07MAI. 2021

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Rencontre : Hopare, jeune prodige du street art

07 MAI . 2021

Écrit par Aymeric Mantoux

Photographies par Salomé Bellin, Nicolas Gicquel, David Maginot

Il a tout juste 31 ans, et sait tout faire ou presque : il peint, sculpte, grave et rencontre un succès insolent. Issu du street art, rompu aux fresques murales magistrales, ce garçon timide et (trop) modeste, expose en ce moment place du Louvre et s’empare prochainement du sol du forum des Halles. Il synthétise la possibilité d’un espace entre grand public et la privilégiature de l’art. Rencontre.

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© Nicolas Gicquel

Quand as-tu commencé à peindre ?

J’ai démarré par le graffiti il y a 18 ans, à l’âge de 12-13 ans en banlieue sud de Paris où habitaient mes parents. Je peignais dans les entrepôts désaffectés là où je faisais du skate avec mes copains. Après, j’ai débordé des hangars sur les murs de ma ville, sur le chemin de l’école. Sur le trajet du bus, j’avais repéré tous les murs entre chez moi et le collège. J’avais ce fantasme des gens voyant mes tags de l’autobus. A l’époque il n’y en avait pas du tout là où j’étais. Donc, quand les gens ont vu les premiers tags et graphs, ils se sont demandés qui c’était. J’adorais l’idée de me dire que c’était moi mais que tout le monde l’ignorait. Cela me faisait vibrer. Personne n’était au courant à part mes deux meilleurs amis qui graphaient avec moi. C’a duré deux ans.

Et après ?

Je me suis vite fait attraper par la police ! J’ai fait un mur un soir et j’ai été photographié par un riverain. Puis des jeunes de mon village m’ont balancé. Mon lycée a été prévenu, la police m’a passé les menottes en plastique à la maison devant mes parents, sans que j’aie eu le temps de leur dire ce qui se passait. Ils ont saisi mes bombes qui étaient dans une malle au-dessus d’un placard, mes carnets de dessin. Ils m’ont emmené dans la camionnette devant les voisins du quartier, alors que ma mère qui travaillait dur, venait de rentrer du travail. Après, j’ai eu deux ans et demi de travaux d’intérêt général dans la ville.

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A Paris.

Et maintenant, c’est la même ville qui revendique d’être le berceau de ton art ?

Oui. Ils appellent pour que je fasse un mur, certains policiers sont devenus mes collectionneurs. Le regard a changé. Un an et demi après ma condamnation, le maire de la ville m’a donné un atelier pour que je puisse travailler. J’y ait fait mes premières toiles. Le problème c’est que vingt ans plus tard, politiquement tout le monde essaie de me récupérer, sur le thème « ça c’est un jeune qu’on a aidé ».

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A Strasbourg.

A quel moment as-tu choisi d’en faire ta vie ?

Très vite. J’ai quand même fait un Bac en merchandisage visuel. Mais assez vite j’ai voulu faire les Beaux-Arts à Paris. J’ai fait une prépa, présenté des concours et mon dossier a été retenu. Mais il y avait un oral en amphithéâtre. Et je n’ai parlé que de graffiti. J’ai entendu des gens rire sous cape autour, je me suis fermé comme une huître. Je bafouillais, j’ai paniqué. Je suis parti au milieu de l’épreuve, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Je leur ai fait peur avec mes histoires de graffiti dont ils n’avaient rien à faire. La seule chose qui intéressait tout le monde, c’était l’art conceptuel. Du coup je n’y suis jamais retourné. Écrire, disserter, ce n’est pas mon truc. Moi je voulais peindre, dessiner.

Et tu t’es êtes lancé ?

Oui, je me suis donné un an pour voir ce que donnait la peinture. A l’époque je faisais les vitrines aux Galeries Lafayette, je faisais partie de toutes les petites mains. Mais un jour, alors que je peignais un mur à Montmartre, j’ai été repéré par une galerie. Après, via Instagram, j’ai été invité à faire un mur à Hong Kong. Puis une galerie m’a également contacté. A 18-19 ans, je travaillais déjà entre là-bas et ici, je commutais tous les mois. C’a démarré doucement, mais c’était lancé. Cela ne s’est plus arrêté depuis ! Il y a eu d’autres galeries ensuite, des expos collectives comme la première avec Jonone, Smash 137 et d’autres artistes. Mais le succès rapide des ventes de mes œuvres au départ m’a fait un peu peur, du coup je suis rentré dans ma coquille et plutôt que de creuser le filon, je suis retourné dans ma banlieue exposer.

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Depuis, ton travail a-t-il beaucoup évolué ?

Oui, il a démarré avec l’écriture, le graffiti, puis il a évolué avec des motifs, des signes, avant de devenir plus figuratif. Cela n’a jamais été évident d’imposer ce style dans l’univers d’où je viens. La plupart sont dans l’abstraction ou le grafuturisme. Moi je suis surtout dans les portraits, le voyage. Les quatre premières années c’était très traditionnel, de la lettre, classique, pour peindre sur les trains et être reconnaissable tout de suite. J’ai glissé vers l’abstraction rapidement entre 16 et 19 ans. C’était coloré, avec plein de lignes de fuite, très dynamique. Les lettres étaient très déstructurées, on ne les voyait même plus.

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Qu’est-ce qui a changé ?

A 19 ans, j’ai découvert New York. C’était la première fois que je quittais l’Europe. J’ai eu un vrai choc. J’ai rencontré tous ces gars que j’ai pris en photo avec mon appareil argentique. Je me suis mis à tatouer mes graffitis sur leurs visages, mes lignes. Je n’étais pas bon dans la lettre. J’aime les portraits, ce qui s’en dégage. J’ai marié mes origines, le graffiti, l’abstraction, ce qui me plait le plus, avec les portraits et les voyages qui me faisaient envie. C’est seulement à 19-20 ans que j’ai fait mes premières œuvres figuratives.

Tous tes visages proviennent de voyages ?

Au départ oui, et cela était encore vrai il y a quelques années. Mais plus maintenant. Récemment j’ai fait le portrait d’un SDF qui a marqué la seconde guerre mondiale après avoir lu son histoire sur internet. Elle m’a plu, alors j’ai imaginé son portrait, j’ai crayonné sur un carnet puis je l’ai peint sur toile juste après. Avec la pandémie et l’absence de voyages depuis un an, j’ai aussi dû trouver d’autres sources d’inspiration. Du coup j’ai travaillé sur des émotions, des souvenirs, des photos.

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Qu’est-ce qui t’inspire, justement ?

J’aime énormément tous les grands peintres classiques. Je ne me nourris pas de mes contemporains, même si parfois j’adore leur travail. Je n’ai pas tous les codes ni la technique qu’il faut, mais je suis un fan des artistes, des grands peintres académiques du XVIIe, XVIIIe siècles.

Tu as récemment présenté au Louvre une sculpture. Et-ce difficile de modéliser en 3D, pour un peintre ?

Dans mes travaux d’atelier, je veux retourner le plus possible à quelque chose de manuel. C’est sans doute dû à ma formation sur les chantiers avec mon père. J’apprécie de remettre les mains dans la terre, le papier, le bois. Je retrouve des matériaux qui évoquent l’enfance. Il y a des choses très simples à faire et cela m’inspire. Parfois je fais des choses sur papier que j’aime, que j’assume, mais qui ne passent pas du tout de la même façon sur toile. L’argile, la terre c’est ce retour aux choses essentielles que j’apprécie. Quand on rate, on peut reprendre. Ca ne coûte pas cher et on peut faire des choses folles !

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D’où vient le titre de l’œuvre ?

Paréidolie ? C’est une forme d’illusion qui fait apparaitre un visage et joue avec les limites de la perception humaine. Je ne suis pas sculpteur à la base. La première de la série m’a pris plus de sept mois, pour avoir quelque chose de correct. J’ai pris un grand patron et je me suis mis dans un coin de mon atelier pour pouvoir appréhender les profils sur mon tour de potier, pendant le premier confinement. C’est une méthode assez primitive, mais elle fonctionne.

Pourquoi cette envie de sculpter ?

C’est un héritage du graffiti, le goût pour le défi, la compétition. Dès que je visite une exposition au Louvre, à Orsay, je prends une claque en voyant les sculptures réalisées par tous les maîtres. J’ai toujours eu envie d’essayer. J’ai des pièces en tête, très techniques, il faut que je les sorte. C’est pareil en gravure, en poterie. Je me suis aussi mis à la linogravure parce que j’ai une presse à l’atelier.

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Le public qui te suit maintenant est-il différent de celui qui achète tes œuvres ?

Mes fans viennent majoritairement de l’art urbain ! Ceux qui me suivent sur les réseaux sont ceux qui aiment le street art. Les trois quarts des gens qui se rendent à mes expositions sont ceux qui me suivent depuis mes débuts, il y a quinze ans. Certains d’entre eux, je les ai rencontrés il y a dix-huit ans, lorsque je montrais mon travail dans des entrepôts ou uniquement dans la rue. Et ce sont toujours les mêmes fidèles qui sont là, qui forment le gros du public. Mais je ne parle pas là du profil de mes acheteurs qui est très différent.

Comment appréhendes-tu l’abysse entre, d’un côté le monde de l’art contemporain, et de l’autre celui dont tu viens ?

J’ai des liens très forts avec mes collectionneurs. Mais j’essaie de conserver un grand détachement par rapport à tout ce qui m’arrive, aux sollicitations, au succès. Je suis très craintif, je n’aime pas parler d’argent. Pour cela je travaille avec Stéphanie Dendura qui gère tous ces aspects-là ! Je ne veux pas être trop proche du monde de l’art, même s’il me fait vivre.

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© David Maginot

Pourquoi ?

Parce qu’en même temps, ce lien me fait peur. Il peut créer une vraie dépendance. Je préfère conserver des liens avec mon public et essayer de rester fidèle à ce que je suis, à ma famille, qui m’a toujours soutenu, ma copine, mon fils, mes amis, mes proches. Je prends mes distances et je ne cède pas à tous les caprices des collectionneurs, je ne prends pas de commande, je ne réalise pas de toiles à la demande. Jamais. Quand j’ai commencé, j’ai créé des liens forts avec certains collectionneurs, avec des galeristes. Qui ont profité de mon travail, de ma cote, et qui allaient même jusqu’à revendre les œuvres que je leur ai données dès que j’avais le dos tourné, alors qu’ils se prétendaient mes amis ou mes proches. J’ai déjà donné. On ne m’y reprendra pas.

Tu exposes en ce moment quatre sculptures sur la place du Louvre, tu n'arrêtes jamais ?

Je travaille beaucoup et j’apprécie également de me confronter à des médiums différents, ainsi qu’aux grands artistes de l’histoire de l’art. Dans les prochaines semaines, je vais réaliser une fresque gigantesque dans un lieu central à Paris, et exposer également en juin à la Urban Art Fair au Carreau du Temple. J’y montrerai des huiles et un parallèle avec la peinture de Francis Bacon que j’admire, imaginé comme un dialogue avec son travail. Pour l’automne je prépare une fresque importante et j’aurais également un solo show à New York en 2022. Et encore d’autres surprises ! Je suis très heureux de tous ces nouveaux projets.

Propos recueillis par A.M | Photographie d’ouverture © Salomé Bellin

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