Visite : la nouvelle Fondation Valmont à Venise

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24JUIN. 2021

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Visite : la nouvelle Fondation Valmont à Venise

24 JUIN . 2021

Écrit par Aymeric Mantoux

La fondation de la célèbre marque suisse de cosmétiques a récemment pris ses quartiers dans un palais vénitien. La famille Guillon y prend le contrepied de l’art conceptuel hermétique. On vous emmène.

L’art, pilier des marques ?

Une ancienne halle marchande jadis réservée aux marchands du nord de l’Europe, comme posée au bord du Grand Canal, avec une vue plongeante et imprenable sur le Rialto. Sans doute l’un des plus beaux magasins du monde. Au 2è étage du Fondaco dei Tedeschi, propriété de DFS (Duty Free Shopping, groupe LVMH), et entièrement rénové il y a peu par l’architecte Relm Khoolas, se trouve l’un des salons de beauté les plus chics qui soient.

La maison Valmont y dispose d’un « shop in shop » de haute volée, présentant l’ensemble de la gamme au milieu de masques en verre de Murano, œuvres d’art signées Didier Guillon. Des masques qui se retrouvent en miniature sur les flacons de parfum Valmont, l’une des dernières nouveautés de la marque. «Jusqu’à maintenant, confie Didier Guillon, le président de la Fondation Valmont, l’art et le business étaient souvent strictement séparés. Mais de plus en plus nous croyons que c’est un moyen de se distinguer de nos concurrents. C’est le quatrième pilier de la marque ».

Des œuvres d’art ont été disséminées à travers le monde dans les boutiques de la société familiale. Des résidences artistiques à Verbier et sur l’ile Grecque d’Hydra, ont été créées, pour stimuler les managers de Valmont et créer des points d’échange entre les équipes et l’influx artistique drivé par la fondation. Tous les deux ans, la saison artistique de la fondation démarre par quatre jours déconnectés du monde autour de Didier Guillon, de ses deux curateurs et des artistes sélectionnés. Une méthode inspirée des techniques de management participatif helvétiques. « En Suisse, un patron ne prend jamais de décision tout seul, explique Guillon. La culture veut que l’on partage les sujets avec ses collaborateurs et qu’on leur demande leur avis. J’ai appliqué cela à la manière d’envisager les actions de la Fondation Valmont ».

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Didier Guillon.

 

Une nouvelle fondation au bord du Grand Canal

C’est peu de dire que ce collectionneur, esthète et entrepreneur iconoclaste ne fait rien comme les autres. La fondation est une organisation modeste qui n’a aucune ambition d’égaler les richement dotées fondations Prada, Pinault ou Vuitton, qui jouent des coudes pour influer sur le marché de l’art contemporain. D’ailleurs, il suffit de voir le lieu qu’elle a choisi pour s’installer. Un très bel espace, quelques pièces en enfilade au premier étage d’un palais gothique à un jet de pierres du grand canal. « L’espace est aménagé comme pour une résidence d’artistes, confie Francesca Giubilai, l’une des deux curatrices. C’est un endroit pour l’art. Nous ne nous inscrivons pas dans le marché de l’art. Venise est une ville où pour la biennale, par exemple, les visiteurs viennent voir, pas acheter comme à Baselworld. Venise est la ville des concepts. Un monde magnifique à explorer ».

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Crossing. Ad occhi chiusi, par Silvano Rubino © Fondation Valmont, courtesy of the artists and Fondation Valmont

Dans la Venise des biennales, la ville entière, les palais ouvrent leurs portes, offrent des expositions. Dans ce contexte, la Fondation Valmont a souhaité proposer quelques chose de singulier, d’inédit, sans limites ni tabous. « Je suis parti avec cette idée d’explorer l’univers des contes de fées, explique Guillon, de stimuler l’imagination des petits et des grands. Je n’ai pas souhaité orchestrer une polémique, agresser ou faire parler de nous, mais je me suis inspiré des 1001 nuits. La narratrice sera tuée si elle ne trouve pas chaque nuit une bonne histoire à raconter ».

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A la fondation, un part-pris d’art contemporain accessible

Avec les thèmes précédents comme La Belle et la Bête et Hansel et Gretel, la fondation Valmont a immergé les visiteurs dans un certain imaginaire. En partant des contes, les artistes ont filé la métaphore pour offrir parfois une réflexion profonde. Une co-construction rendue possible par un commissariat qui n’est pas tout-puissant, mais s’appuie sur l’intelligence collective des participants. La méthode donne une idée de l’humilité des pratiques de la Fondation Valmont, eu égard à ses grandes cousines un peu hautaines des bords du Grand Canal.

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Drink Me, par Isao & Stephanie Blake © Fondation Valmont, courtesy of the artists and Fondation Valmont

Le processus créatif de chaque exposition, comme la dernière en date, Alice in Doomland, démarre comme une conversation à plusieurs autour d’un thème imposé. Du jamais vu. Parfois surprenant pour des petits nouveaux. « Nous avons écarté d’emblée certains artistes qui ne collaient pas avec l’aspect collectif du projet. Ce n’est pas facile. D’autres ont failli quitter le navire au premier jour, mais tout s’est bien terminé et c’est assez rare ».

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Pour son directeur, les contes sont un outil inégalable pour parler la langue de l’art contemporain à une audience plus large et de manière différente. Des histoires apparemment simples, des niveaux de lecture différents, des couches de sédiments qui s’explorent à façon… l’idéal afin d’explorer les sentiers de la création. La nécessité de souligner des points cruciaux dans les histoires qui trouvent des résonances dans l’époque contemporaine se fait ainsi jour… ou pas.

Mais pourquoi alors avoir développé une Fondation autour de l’art, et pas un projet plus humanitaire ou ouvert sur des horizons plus ouverts ? « L’approche de Didier est très inclusive, confie Francesca, qui travaille avec lui depuis cinq ans. Tout a commencé pour lui avec son travail pour Valmont avec des artistes du verre ici à Venise. Nous avons eu de nombreuses discussions, visité des expositions avec lui. D’abord, il a pensé à organiser une exposition, avant d’ouvrir un espace où sa démarche pourrait être appréciée et comprise par le grand public ». Parfois en effet, l’art contemporain est trop conceptuel ou trop difficile d’accès.

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Les mythes, une porte d’entrée parfaite

Pour remédier à cela, la Fondation Valmont a tissé des liens avec des associations qui amènent l’art dans les quartiers difficiles, comme dans certaines parties de New York. Son objet est bien de partager une certaine vision de l’art et de la transmettre. D’où l’appel aux mythes pour concevoir les expositions. La plupart des contes sont en effet destinés aux enfants. Apparemment ils sont très simples, mais plus on les lit, plus on comprend, plus on apprend de choses, différentes. Des thèmes parfaits pour explorer une nouvelle approche de l’art.

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The Garden Dreamers, par Silvano Rubino, Isao & Stephanie Blake et Didier Guillon © Fondation Valmont, courtesy of the artists and Fondation Valmont

Et elle plaît, cette approche. De plus en plus. Le succès venant, la fondation a souhaité disposer de son propre lieu. C’est désormais chose faite pour accueillir le millésime 2021, ce qui offre une grande liberté aux hôtes. « Quand j’ai vu le thème, confie Silvano Rubino, l’un des artistes (avec Isao et Stéphanie Blake), je me suis dit que j’allais utiliser de la peinture mais dans un contexte plus architectonique. J’ai tiré mon idée du livre. Alice change après avoir expérimenté le toboggan. Elle tombe, suit le lapin, démarre son rêve et se réveille. Mon installation résume un peu l’œuvre. J’ai utilisé le livre comme une inspiration pour traduire avec des réflexions personnelles ce que je ressens. Pour comprendre, il faut lâcher prise et retrouver l’enfant qui est en soi. Il faut simuler l’idée de perdre le contrôle. Ce qui arrive à Alice ».

 

Du sang neuf dans le paysage artistique vénitien

Les visiteurs répondent bien, de même que les Vénitiens, qui peuvent tous accéder gratuitement à cet espace de culture et d’épanouissement. L’accueil réservé à cette nouvelle structure a également agréablement surpris son propriétaire. Sa démarche hors marché de l’art, qui n’a pas pour objectif de vendre ni d’exposer ses propres œuvres, mais d’apporter quelque chose, de venir compléter l’écosystème vénitien, fonctionne à merveille. « Comme nous ne sommes pas investis dans le marché, confie Francesca Giubilei, nous pouvons faire et dire certaines choses parce que nous sommes libres. Didier est un outsider. Ce qui nous donne la possibilité de produire des expositions inhabituelles ».

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The Room of Tears, par Didier Guillon © Fondation Valmont, courtesy of the artist and Fondation Valmont

La fondation entend également limiter au maximum son empreinte écologique. Pas de catalogue, pas de traces, pas de pièces vendues à des institutions ou à des collectionneurs en vue. Dans la mesure du possible, les pièces de l’exposition sont produites sur place avec des matériaux recyclables et des artisans locaux. La Fondation Valmont entend être durable ou ne pas être. Ce n’est pas une question, mais l’un de ses engagements.

Un fonctionnement qui n’est possible que parce que Didier Guillon reste dans son couloir de nage et n’entend pas empiéter sur les territoires des autres. Bientôt accompagné de son fils aîné, il est aujourd’hui le seul aux manettes de la fondation : sa structure simple et peu hiérarchisée favorise la réactivité et la prise rapide de décisions. A 68 ans, le Président de la Fondation n’a pas l’intention de passer la main, mais d’apporter du sang neuf, de nouvelles idées. La dernière en date est de créer davantage de ponts entre la fondation et les cosmétiques, au travers d’évènements, de rencontres, en développant des viewing rooms dans les nouvelles ambassades Valmont à travers le monde. L’une des premières devrait ouvrir prochainement à Paris.


Palazzo Bonvicini, calle Agnello,
2161A, Venise.

Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h. Gratuit.

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