A Paris, Jean Imbert au Plaza Athénée,
On aime ou pas ?

Gastronomie

24FÉV. 2022

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Gastronomie

A Paris, Jean Imbert au Plaza Athénée

On aime ou pas ?

24 FéVRIER . 2022

Écrit par Stéphane Méjanès

Faisant fi du bruit qui agite le Landerneau de la foodosphère parisienne depuis l’annonce de l’arrivée de Jean Imbert au Plaza Athénée, à Paris, on est allé s’y attabler. On est resté perplexe. Récit.

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Le 15 juin dernier, Jean Imbert publiait une photo sur son compte instagram, qui compte près de 450 mille abonnés. En veste, tablier de cuisine et jean-baskets, il pose devant la porte tambour du célèbre hôtel Plaza Athénée, sans qu’on sache bien s’il en vient ou s’il y va à reculons. On se gardera bien de faire de la psychologie de palace en décryptant la sémiologie de l’image ; l’annonce de l’arrivée du Top Chef 2012, jamais étoilé, comme successeur d’Alain Ducasse, chef le plus capé au monde, a suffisamment nourri la chronique gastronomique.

Entre sceptiques et enthousiastes, neutres ou carrément énervés, on a tout lu, avant même d’avoir mangé quoi que ce soit. On a même vu les critiques se critiquer entre eux, stupéfiante mise en abîme dans l’entre-soi du petit monde de la gastronomie. 79 347 likes plus tard, on est allé se faire une opinion par soi-même.

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A table ! Jean Imbert au Plaza Athénée, le prix de l’Histoire 

Évacuons d’emblée le sujet de l’addition, nous étions invités. Le prix du « Menu de Jean » (296 €), et même le tarif minimum pour entrée, plat et dessert à la carte (202 €), explose le budget frais du pigiste ordinaire. Notons toutefois que, compte tenu des produits servis (truffe, homard, caviar, foie gras), de la générosité des portions, et au risque de choquer, ça n’est sans doute pas assez cher. Pour goûter la Naturalité ducassienne, passionnante exploration d’une cuisine d’aujourd’hui et de demain en compagnie de Romain Meder et Jessica Préalpato, il fallait débourser 380 € pour des légumes, des céréales et du poisson.

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La page est définitivement tournée. Jusque dans l’architecture d’intérieur. Une fois dans la place, le contraste est saisissant entre la froide épure du designer Patrick Jouin, auteur du décor précédent, et le nouvel écrin. Retour vers le futur sans DeLorean DMC-12, du XXIe au XVIIe siècle. Sous les dorures impeccables du haut plafond et les lustres à pampilles, encadré par les colonnes doriques, le regard se perd à l’horizon de la somptueuse table d’hôte composée de quatre tableaux de marbre taillés dans le même bloc. Joufflus bouquets d’hortensias, moelleux coussins et tapis, l’ambiance est au cocooning version Grand Siècle.

Un grand restaurant comme une scène de théâtre

Sur cette scène de théâtre à l’Italienne, Denis Courtiade, directeur de salle rescapé de la saison passée, est dans son élément. L’homme surnommé Bisouman, qui a formé entre autres deux génies du genre, Claire Sonnet (patronne au Louis XV à Monaco) et Olivier Bikao (boss au Meurice à Paris), est un maestro. Élégant et chaleureux, négociant son salaire à coups de câlins, il sait trouver la distance et le ton ad hoc pour vous mettre à l’aise. En entamant sa 23e année au Plaza Athénée, il porte plus que jamais l’art du service au sommet. Il est le metteur en scène d’une brigade façon corps de ballet, dont les membres semblent glisser entre les tables, chorégraphie millimétrée sur les airs pompiers d’une playlist de musique classique. Ce n’est pas le show hollywoodien que certaines plumes du métier nous ont survendu, mais on prend plaisir à observer tout ça.

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Pour Denis Courtiade, c’est comme ouvrir un nouveau restaurant, défi le plus excitant qui soit dans une vie dédiée à l’hospitalité. Il réclame même de l’indulgence, malgré ses presque 35 ans de carrière. « Avec trois étoiles, j’étais trop sûr de moi, je ne comprenais pas la critique, admet-il. Aujourd’hui qu’il y a tout à faire, je suis beaucoup plus stressé, ce sont les clients qui me rassurent. » Pour celui qui défendait avec droiture une Naturalité laissant interloquée une bonne moitié de la clientèle, il paraît pourtant plus aisé de vendre désormais la grande cuisine bourgeoise de tradition française, remise au goût du jour par un Jean Imbert ayant bachoté son Carême et son Escoffier.

Jeunes et moins jeunes, et même famille avec une petite fille, les convives de ce samedi midi ne sont pas faciles à cartographier. Mais l’atmosphère est plutôt joyeuse, la bonhomie du chef sommelier Laurent Roucayrol, dont la science de l’accord est d’une précision diabolique, ne gâche rien. 

Hein ? Pardon ? Ah. La cuisine ? Oui, bien sûr, suis-je distrait. Il faut bien en parler, n’est-ce pas, un restaurant, ce sont aussi des assiettes (très bel art de la table, d’ailleurs). C’est là que le journaliste rincé doit faire la preuve de son indépendance. Disons tout de suite qu’il n’y a pas de faute technique : les cuissons sont justes, les assaisonnements aussi. Mais, c’est la moindre des choses pour les deux tauliers des fourneaux en soutien de Jean Imbert, Jocelyn Herland, qui tint 3 étoiles au Dorchester, à Londres et Mathieu Emeraud, ancien chef du Relais Plaza, le « bistrot » de l’hôtel. Le jour de notre visite, ce dernier tenait la baraque, Jocelyn Herland était en congé, et Jean Imbert à l’ouverture en grande pompe bling-bling de la première pâtisserie londonienne de Cédric Grolet.

Le réconfort de la cuisine bourgeoise, oui mais

En choisissant de repasser les plats d’antan, Jean Imbert a pris le parti de réconforter, l’époque est à la réassurance, c’est bien vu. Faire découvrir ou redécouvrir la cuisine française fantasmée par des touristes en mal de repères culinaires ou par des autochtones nostalgiques, ça n’est pas une grosse prise de risque, ou alors celui d’être comparé. C’est là que le bât blesse. 

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À la recherche du vol-au-vent ultime (on devrait dire bouchée à la reine puisqu’il s’agit d’une portion individuelle), celui du Plaza Athénée n’atteint pas la collerette des chefs d’oeuvre de Fred Ménager à la Ferme de la Ruchotte (vol-au-vent de Grande Cuisine Bourgeoise en 9 services) ou Jean Sévègnes au Café des Ministères (Paris 7e). Dans une version qui a déjà évolué depuis l’ouverture, on l’a ce jour-là déstructuré, les ingrédients bien rangés au fond de l’assiette, recouverts sur table d’un disque de pâte feuilleté bien trop épais, bien trop dur, que même le jus versé ne réussit pas à imbiber. Il faudra vider la saucière laissée sur la table (bon point) pour essayer de retrouver le plaisir associé à ce plat mythique : une pâte friable gorgée de sauce qui vient enrober ris de veau, champignons, langoustines, quenelle, truffes et crêtes de coq, et fond dans la bouche dans une mélange onctueux de saveurs, de textures et de gras. En vain. 

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Idem la fameuse langouste entière et très instagrammable, chevauchée de médaillons d’elle-même et de homard, à l’estragon et au citron caviar. On a apprécié mais on s’est demandé si elle n’était pas morte pour rien, ou alors surtout pour remplir une poubelle de ses restes. Le meilleur de ce plat, c’est la mayonnaise coraillée, avec son jus réduit de carcasses, et l’unique pince de homard en gelée servie à part. Ni mauvais ni bon, on reste un peu sur sa faim. Ça n’est pas le cas avec la tarte chantilly truffée, vraie bonne surprise. On s’attend visuellement à un shot de mou écœurant, on découvre un nuage évanescent et goûtu, dissimulant une pâte feuilletée (réussie, celle-ci), une tombée de poireaux et un jaune d’œuf coulant. Roboratif en diable !

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Fromage ou dessert ? Pour une fois, la proposition a du sens. Si l’on veut les deux, il faut un estomac bien accroché. Car les desserts arrivent forcément par six ! Concoctés par le MOF Angelo Musa et la jeune et talentueuse Elisabeth Hot, quasi sosie de Jessica Préalpato, ils explorent eux aussi le grand répertoire : Marquise (chocolat), Puits d’amour (pâte à chou, crème pâtissière caramélisée), Ambassadeur (génoise Grand Marnier, pâte d’amande), crêpe clémentine Napoléon (soufflée et flambée sur guéridon), glace nougat, « pour vous rafraîchir » (sic), et Fontainebleau (crème fraîche) revisité à la pomme et à la livèche. Là encore, l’exécution est jolie mais le sucre trop présent, loin des canons de l’époque qui a pris conscience qu’il fallait le réduire. Mais pire, on n’en peut plus ! On pleure de voir repartir en cuisine ce que l’on n’a pas pu finir (et on n’est pourtant pas le dernier, comme dirait Maman).

On s’en veut presque d’être un peu trop sévère, le lieu impressionne, le service est efficace, les intentions sont belles, l’envie de faire plaisir manifeste. Mais l’on ne peut s’empêcher de conclure, dans la langue de deux visiteurs réguliers des cuisines de leur « bro » Jean Imbert, Pharrell Williams et Omar Sy l’Américain : « so what ? »

S.M


 

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