Cuisine
Rencontre avec Hugo Desnoyer; le plus célèbre des bouchers parisiens
19 MAI . 2025
Hugo Desnoyer, malgré sa notoriété internationale, demeure réservé, voire discret. Les Hardis sont allés à sa rencontre et c’est à proximité de sa boucherie du 14e que le chef s’est plié à l’interview à la terrasse de son café favori.
Comment avez-vous commencé dans la boucherie ?
Hugo Desnoyer : Je suis le cancre de la famille, l’école ce n’était pas mon truc. Mon père s’en est aperçu rapidement et m’a demandé, juste après le collège, ce que je voulais faire, bien sûr je ne savais pas. Il m’a fait faire de la mécanique, et ça n’allait pas. Puis un jour il me dit : mon boucher veut bien te prendre 8 jours à l’essai et ça fait maintenant plus de 30 ans !
© Marielle Gaudry
Dès le départ, ce qui m’a marqué a été le toucher de la viande, cette matière noble, parce que j’aurais pu être menuisier, sourit-il songeur. Bon, ça a été la viande. Et ça, ça m’a plu tout de suite, dès le premier jour.
Dans quelle région ?
À Laval, en Mayenne, où j’ai fait deux ans d’apprentissage, puis après mes patrons m’ont envoyé en saison à côté de La Baule à Piriac sur mer, Courchevel et Paris où j’ai tout de même failli arrêter le métier, je suis mal tombé. Paris est rude pour un provincial, on ne connaît vraiment personne ! Et je suis vraiment mal tombé.
Alors comment arrive-t-on à se démarquer dans la boucherie ?
Je suis d’abord allé dans une autre boucherie, dans le 5e, chez un Monsieur qui s’appelle M. Tranchant et là ça a été une révélation. La viande était exceptionnelle, l’étalage magnifique. L’équipe très professionnelle et le service super bien, et ça m’a fait exploser. Et c’est M. Tranchant qui m’a fait aller chef dans une autre maison.
© Hugo Desnoyer
Puis j’ai grandi rapidement dans Paris, en choisissant les maisons que je voulais. J’ai eu la chance de travailler de la bonne viande toute ma vie. Et à force de toucher, d’apprendre, le visuel, les odeurs, les bruits… Tout se prête pour acquérir une expérience énorme. Puis dès que j’ai voulu m’installer, j’ai compris qu’il fallait aller chez les éleveurs pour faire les bêtes que je voulais.
Alors, vous allez où ?
En Charente auprès des limousines. Le terroir d’origine, c’est la Charente limousine. Parce j’ai une main, on appelle ça avoir une main en boucherie.
En touchant le haut de la croupe de l’animal, un bon boucher sait si la bête est bonne.
Cela se déroule du bébé à la mère, de la naissance à l’assiette ?
Oui, j’ai voulu tout remplir, toutes les cases ! Il sourit. J’ai fait venir un nutritionniste à la retraite, que je connaissais bien, qui a changé des herbes dans les prés de mes éleveurs et on a fait ensemble la recette de finition. Je maîtrise vraiment tout. On finit souvent les bêtes à partir de 4 mois à 12 mois, moi je suis allé de 8 à 12 mois. En France, on a vraiment une culture de finition de bêtes.
© Marielle Gaudry
Selon un éleveur, « finir une bête » avant l’abattoir fait référence à une étape cruciale appelée embouche. Cette pratique consiste à préparer l’animal destiné à la consommation, afin d’optimiser sa qualité de viande. Cela implique de lui fournir une alimentation spécifique et souvent plus riche pendant une période donnée pour améliorer son état corporel, sa masse musculaire, et parfois le persillage de la viande (graisse intramusculaire). Cette étape demande une grande expertise et une compréhension fine des besoins nutritionnels de l’animal, ainsi qu’une gestion attentive des conditions d’élevage.
Vous pouvez m’expliquer ce rapport entre l’éleveur, vous et la bête ?
J’impose à mes éleveurs d’amener eux-mêmes leurs bêtes à l’abattoir parce qu’un éleveur aime sa bête donc il va faire attention sur la route, ça c’est hyper important. Avant ça pouvait durer 24 h alors que maintenant mes éleveurs prennent rendez-vous et en 4 h maximum la bête est abattue pour éviter le stress.
© Marielle Gaudry
Hugo Desnoyer a été un des premiers bouchers, il y a 30 ans, à mettre de la musique classique pour les animaux, à ajouter des joints sur les portes des abattoirs, pour que le bruit n’effraie pas les bêtes.
J’ai mis au point ma propre recette de finition avec mon nutritionniste.
C’est la dernière cigarette ?
Pas vraiment, il y a minimum 8 mois de finition donc une bête, on la voit, avec l’éleveur, grossir tous les jours. On voit les muscles s’affiner, le gras se développer au niveau de la queue, au niveau de la croupe.
Et après ?
Je laisse 3 semaines à l’abattoir en carcasse. Au bout de ces 3 semaines, on coupe en 4 et les quartiers sont livrés chez moi. Cela fait en moyenne 4 à 5 semaines avant que j’ai du travail pour les vendre à ma clientèle.
Ce n’est jamais un sujet en France, mais la viande maturée est un argument aux Etats-Unis ?
C’est obligatoire de maturer une viande. Une bête, même si c’est la meilleure bête du monde, pas maturée au moins 2-3 semaines, elle ne sera jamais bonne. Après, certains de mes collègues sont allés vers une maturation un peu excessive, ça c’est un choix politique et commercial, mais ce n’est pas mon truc.
© Marielle Gaudry
Comment parvient-on à avoir des clients renommés ?
Au tout début de ma carrière, Manuel Martinez, chef du relais Louis 13 qui avait déjà 2 étoiles au Michelin, qui sortait de La tour d’argent, était dans la file d’attente à la boucherie. Je l’ai reconnu et on s’est assez vite entendu. Je l’ai fourni et ça a fait radio-cuisine.
© Marielle Gaudry
Martinez étant connu comme l’un des plus durs chefs au niveau fournisseurs de Paris, ça a fait un feu de paille énorme et tout le monde a atterri chez moi, mais tout le monde ! Robuchon, Ducasse, Gagnaire, l’Astrance, Alain Passard, l’Élysée, le Sénat, tous ! J’ai eu la chance de pouvoir servir tout le monde petit à petit.
Ils vous ont accordé beaucoup de confiance au final ?
Bah oui, mais ces gens-là c’est pas parce que tu t’appelles Hugo Desnoyer, hein ? Oui, il faut de la bonne viande dans l’assiette !
Il y a des morceaux que vous aimez particulièrement travailler ?
Personnellement j’aime bien travailler l’agneau parce que j’aime ce côté technique un peu façon pâtissier où il faut vraiment que ce soit parfait, les gestes précis lors de la découpe. J’aime bien éplucher un paleron. Les volailles aussi bien sûr, la volaille du sud-ouest, de Bresse, la volaille du Pâtis, que du haut de gamme.
© Marielle Gaudry
La « volaille du Pâtis » désigne une volaille d’exception, notamment la poularde du Pâtis, élevée de manière traditionnelle dans la Sarthe, sa chair tendre, moelleuse et savoureuse, est le résultat d’un élevage respectueux des animaux et de leur alimentation. Le point fort d’Hugo Desnoyer, c’est le veau. Le tartare de veau qu’il propose avec de l’huile d’olive, cébette, échalote, sel, poivre et citron vert est inoubliable. L’hiver, il le réalise avec une couche de caviar par-dessus. L’iode du caviar bue par la chair du veau, on frise le sublime. Au moment de Noël, les boîtes de caviar Petrossian garnies d’un fond de tartare de veau s’arrachent auprès des connaisseurs.
Il y a une tradition française en boucherie ?
Je pense qu’on est peut-être le seul pays au monde à détailler toutes les pièces dans les muscles un par un et à savoir les faire griller, rôtir, bouillir et connaître la destination finale exacte de chaque morceau. On est champions du monde ! Il sourit. Dans ma boucherie restaurant dans le 16e, tous les jours j’avais des clients japonais.
© Marielle Gaudry
J’y ai encore un restaurant et à Hong Kong, j’avais un restaurant où on a eu très rapidement une étoile où je fournissais aussi tous les mêmes chefs qu’à Paris. J’ai travaillé pour une société française au Japon pendant 19 ans d’affilée en apportant mes conseils, car chaque culture de pays est complètement différente. Les Japonais travaillent très bien, mais voilà, ils avaient besoin de coupes à l’européenne, en tout cas à la française.
Chez vous, vous faites la cuisine ?
Oui, et de la viande bien entendu. Les plats en sauce, j’adore. J’aime bien les plats mijotés, les sautés, bœuf, d’agneau, un glaçage, vin blanc tomate. J’adore.
Qu’est ce que vous me conseillez comme morceau de viande pour ce soir ?
Alors un contre filet bien épais, poêlé et éventuellement passé au four sur l’épaisseur. Ou alors des pièces de steak, un paleron épluché…. Des choses comme ça. Il y a ce qu’il faut hein ! Y a ce qu’il faut…
© Marielle Gaudry
Le contre-filet est une pièce de viande de bœuf découpé le long de l’échine, dans la région lombaire de l’animal, et fait partie de l’aloyau. Ce morceau est également connu sous le nom de faux-filet, et il est apprécié pour sa tendreté et son goût savoureux.
Boucherie Hugo Desnoyer
45 Rue Boulard, 75014 Paris