La tête dans les nuages avec Sarah Moon,

Au Musée d’Art Moderne de Paris

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10JUIN. 2021

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La tête dans les nuages avec Sarah Moon

Au Musée d’Art Moderne de Paris

10 JUIN . 2021

Écrit par Esther Ghezzo

La photographe Sarah Moon se meut dans un espace-temps spirituel à l'exact opposé du mouvement productiviste incessant de notre société. Son œuvre est une invitation délicate et vibrante à saisir l'instant, comme on capturerait l’intensité d’une étoile. PasséPrésent, l’exposition que lui consacre le Musée d’Art Moderne de Paris, nous invite -jusqu’au 4 juillet- à capturer ce moment hors du temps.

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Pour Cacharel, en 1976 © Sarah Moon

Les premiers temps, suspendus

Est-ce parce que le hasard est si souvent intervenu dans l’existence de Marielle Sarah Warin, dite Sarah Moon, que son regard est tellement lié à l’instant ? Ou peut-être avons-nous tout simplement affaire à un être réceptif à cette impalpable dimension immatérielle du temps… Celui qui file entre les doigts. Et à sa capacité à comprendre la profonde ampleur du sentiment, « juste avant l’instant qui disparaît » pour la citer.  Un moment suspendu.

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Pour Cacharel, en 1975. © Sarah Moon

Devenue modèle, presque par accident, puis de la même façon photographe autodidacte, c’est à partir de 1967 que ses premières photographies de mode seront publiées dans l’Express. Il y aura la très longue collaboration avec Cacharel, la maison anglaise Biba, Chanel, Dior, Vogue, Harper’s Bazaar et tant d’autres. Jusqu’à se fondre dans cet univers. Comme si Sarah Moon était Cacharel. Car dans un travail de commande, on manque, malgré tout de liberté.

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Pour Cacharel, en 1968. © Sarah Moon

 

« Toutes les photographies sont le témoin, si ce n’est le souvenir d’un moment qui autrement serait perdu pour toujours. D’où ce sentiment de perte ; d’où l’association avec la mort… Je crois aussi que photographier c’est dramatiser un fragment de seconde. » – Sarah Moon

 

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La fin des vacances, 2017. © Sarah Moon

 

1985, les débuts du flou

Jusqu’en 1985, cette année qui marque une faille, la faute à ces évènements au caractère irrémédiable qui font basculer nos vies. Cette année 1985, c’est celle de la mort de l’assistant de Sarah Moon, Mike Yavel et c’est cette année précisément qui marque l’orée d’un nouveau territoire d’expression. D’un travail de commande, on passe à la liberté d’un travail personnel, la grande aventure intime de tout artiste.

Nouvelle contrée où se retrouvent pourtant les marqueurs esthétiques et sensibles de ses premiers travaux, la dimension de mystère derrière « l’évidence » par exemple. L’usage de couleurs de sa palette propre, ses nuances de noir et blanc, ses contrastes fondus. Son net pas tout à fait flou, ou son flou pas tout à fait net. L’ombre se faisant écho de la lumière, le piqué se substituant à la haute définition grandissante, l’érosion du support photographique, les marques d’accidents.

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En 1998. © Sarah Moon

 

« Le noir et le blanc sont la couleur de l’inconscient, de la mémoire. Il s’agit d’ombre et de lumière. C’est de la fiction. C’est ce qui est le plus proche de moi, c’est là que je me retrouve. » – Sarah Moon

 

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Le cri, 2003. © Sarah Moon

Sarah Moon et le fluide vital 

Vous le verrez dans PasséPrésent, que cela soit à travers ses photos de mode, ses portraits d’animaux ou de fleurs (oui, oui, portraits), ces paysages naturels ou architecturaux, le fil est tendu. Le fluide vital se déplace et parcours ses œuvres.

On parcourt donc son travail publicitaire et de mode, tout autant que son travail personnel et libre de toute commande, son travail photographique comme vidéographique, car il est juste de se rappeler qu’elle explore les deux médiums. Sans chronologie figée, avec l’idée d’explorer.

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Vue de la salle hommage à Robert Delpire au MAM. DR

Et bien sûr, il fallait associer le nom de Robert Delpire à sa vie, à son parcours, à son œuvre. Une salle lui est ainsi dédiée. Partager sa vie quarante-huit ans avec un être, c’est l’incarnation d’une communion d’âmes qui ne peut être dissociable de ce que l’on réalise.

 

Un instant de vérité

C’est peut-être là qu’une dimension plus grave, une certaine porosité des ambivalences de la vie apparaissent de manière plus évidente dans ses œuvres. Les circonstances de l’instantané en font ce qu’on appelle parfois un instant de vérité. L’accident n’est que la somme d’un ensemble d’actes, de choix et non choix, de hasards démultipliés conduisant à un moment précis. Une fraction temporelle. Nous en vivons tous.

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La Mouette, 1998. © Sarah Moon

La magie du travail de Sarah Moon est certainement de pouvoir fixer sa vision sur des instants, ses instants qui peuvent devenir les nôtres, et donc sur l’immensité psychique qu’ils représentent. Car comme elle aime à le rappeler, nous portons tous un regard différent sur la vie et ses impétuosités, comme sa beauté.

C’est d’ailleurs cette empathie et cette sensibilité qui président à un travail si émotionnel. Certains auraient par le passé qualifié son travail de sophistiqué, et on ne peut pas dire qu’il ne relève pas d’une gracile élégance pourtant non dénuée d’abysses et d’humilité. Comme le disait son ami le peintre Jacques Monory en évoquant sa photographie « Sarah y raconte la vie de ses sentiments ». C’est là que se trouve le travail d’artiste. Que son regard se matérialise.

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La noyée, 2014. © Sarah Moon

 

« Je ne témoigne de rien – j’invente une histoire que je ne raconte pas, j’imagine une situation qui n’existe pas – je crée un lieu ou j’en efface un autre, je déplace la lumière – je déréalise et puis j’essaie. Je guette ce que je n’ai pas prévu, j’attends de reconnaître ce que j’ai oublié – je défais ce que je construis – j’espère le hasard et je souhaite plus que tout être touchée en même temps que je vise. » – Sarah Moon

 

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Anatomie, 1997. © Sarah Moon

Esthétiquement autant que spirituellement, on trouve dans le travail de Sarah Moon tout le déroulé d’un instant de vérité, donc. La genèse et l’épilogue d’un sentiment, d’un moment. L’accident y est sublimé car inhérent à la vie. Et surtout libre à ceux qui cherchent au-delà de la vérité, de l’évidence, de trouver un écho à leurs propres pensées, à leurs propres chimères dans les œuvres de l’artiste. Une métamorphose qui s’opère si l’on est prêt à s’aventurer dans sa propre réalité.

 

Une exposition pensée comme une rétrospective

PasséPrésent est bien sûr une rétrospective, mais elle porte pourtant le nom d’exposition. Car il serait presque antinomique de classifier chronologiquement le travail de Sarah Moon et, après tout, laissons le temps au temps, sans chercher à épingler les œuvres comme on le ferait pour une collection d’insectes.

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Pour Yohji Yamamoto, en 1998. © Sarah Moon

Comme l’aurait si bien dit Robert Delpire, « c’est de voir qu’il s’agit ». Oui, mais de voir selon son propre royaume, selon son monologue intérieur. Et quel rare plaisir, quelle rare générosité, quand un artiste laisse de la place et considère son public, quand il exprime si fort sa vision et à travers elle sa personnalité, tout en encourageant l’autre, en lui transmettant le goût de l’aventure intérieure. Libre à chacun de chercher la vérité de sa fiction…

E.G


Sarah Moon, PasséPrésent
Jusqu’au 4 juillet 2021 au Musée d’art Moderne de Paris,
11 Avenue du Président Wilson,
Paris XVIe

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