Aimer comme on mange au Shinjuku,
Un restaurant à Pigalle pas comme les autres

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03FÉV. 2022

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Aimer comme on mange au Shinjuku

Un restaurant à Pigalle pas comme les autres

03 FéVRIER . 2022

Écrit par Yan Céh

Photographies par Yan Céh

Un restaurant à Pigalle… Oui, mais pas comme les autres. Comment faire un aller-retour Paris-Tokyo en quelques heures ? Et plus précisément dans son quartier le plus excitant, interlope de la capitale nippone : Shinjuku ? Il suffit pour cela de se rendre rue Condorcet, à Paris, dans l’antre d’une Japonaise qui n’a pas froid aux yeux et répond au doux prénom d’Emi. Un restaurant définitivement pas comme les autres, où le désir et l’érotisme s’allient naturellement à la gastronomie et aux images polissonnes… Plongée dans les plaisirs du palais, échos aux plaisirs de la chair : bienvenue chez Shijunku Pigalle.

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Sexe et gastronomie, même combat

C’est sans doute en voulant rendre hommage à la malicieuse réputation du quartier de Pigalle que la jeune et jolie patronne de ce lieu l’a nommé ainsi : Shinjuku Pigalle. Réunissant ainsi les deux arrondissements les plus coquins des deux capitales, Pigalle, ses bordels d’antan et sex shops d’aujourd’hui, et Shinjuku, ses nuits frivoles et moites, contrastant avec le grouillement des businessmen le jour, puisque c’est aussi l’endroit de Tokyo où l’on retrouve une très grande quantité de sièges des plus grandes entreprises du pays… Et quand le soleil se couche, les affaires d’argent laissent place aux affaires des sens, lorsque l’appétit des cols blancs se voit grandissant.

Car s’il y a bien un pays sur terre où nourriture et sexe se ressemblent et s’assemblent, c’est au Japon… C’est d’ailleurs sur ce point crucial que la patronne s’accorde à trouver également une similarité de goûts entre la France et son Japon natal : « je trouve qu’ici aussi, la tradition culinaire est très importante, et que le plaisir que l’on a en mangeant est proche du plaisir que les rapports physiques apportent… On dévore un plat comme on se dévore sous l’emprise du désir, non ? On découvre un corps et on a faim et soif de ce corps… En tout cas, il y a pour moi une relation singulière et forte entre nos deux cultures. Dans la littérature japonaise, l’érotisme est très présent, allié souvent à la chère, au désir de manger. On trouve ces préoccupations chez Junichiro Tanizaki par exemple, et en France dans la littérature érotique et fétichiste, comme chez Georges Bataille, le Marquis de Sade ou encore Pierre Louÿs… ». Pas seulement de nourritures à avaler, donc, mais bien des nourritures de l’esprit, affirmant une vision sensuelle sophistiquée, une sexualité considérée comme un art, que ce soit l’art de la table ou celui du lit, et vice versa…

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Shijunku Pigalle, un vrai restaurant tokyoïte à Paris

À l’origine de ce lieu, donc, Emi, éprise d’art, de cinéma et de musique. Avant de venir en France, elle a débuté en ouvrant dans le quartier de Shibuya un espace expérimental, Meconopsis, renvoyant au nom scientifique de la fleur que l’on appelle couramment le pavot -le pavot bleu plus spécifiquement, plante mythique et magnifique. Là, dans ce lieu inspiré du théâtre Nō, la journée est consacrée aux ateliers d’Ikebana, de musique africaine et de yoga. Les ateliers laissent place le soir à un bar et des DJs réputés, pour des nuits mémorables. Emi nous le raconte avec un pétillement dans les yeux.

Puis, en 2006, elle part une année à Berlin où elle s’adonne au clubbing effréné dont la ville a le secret. Retournée au Japon, elle se retrouve alors en 2009 dans l’aventure du tournage d’un des films les plus déjantés réalisé par Gaspar Noé, Enter The Void, dans lequel elle apparaît furtivement. Mais sa rencontre avec l’un des producteurs du film, Nicolas, est décisive et provoque son départ pour Paris.

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Là, après quelques années, Emi décide d’ouvrir un restaurant dans l’esprit des vrais petits restaurants tokyoïtes, c’est-à-dire loin du minimalisme et du pseudo chic des restaurants japonais réputés et chers que l’on trouve à Paris (et tout aussi loin des faux restaurants japonais tenus souvent par des chinois nous assommant à coups de menus B2 « soupe + salade + sushis + brochettes »). C’est au contraire toute l’authenticité foutraque des vrais lieux qui ont une âme que l’on découvre en entrant dans Shinjuku Pigalle. Des murs au plafond, une collection impressionnante de posters de films nippons et de versions japonaises de films étrangers… Beaucoup de seins, de rondeurs, de fesses planent ainsi au-dessus des têtes, de quoi ouvrir l’appétit des filles comme des garçons. Une image tirée de L’Empire des Sens, ou l’art d’accommoder les baguettes pour passer du riz gluant au gluant tout court… Voilà ce qu’aime profondément Emi.

« C’est la vie ! Le sexe et la nourriture, c’est pareil au fond, c’est ce qui nous fait vivre, ce sont les sensations, les émotions qui nous donnent l’envie de vivre ! ».

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Manger = désirer, une vision japonaise ?

La nourriture comme élément purement érotique, comme déclencheur absolu du désir ? C’est la vision japonaise que tente de m’expliquer Emi. Et ce n’est pas forcément en rapport, comme en Occident, à quelque chose de visuel. Avant l’image, ce sont les sensations immatérielles qui constituent cet érotisme nippon. « Il s’agit de quelque chose de plus sombre, de plus caché… quelque chose lié au mystère… m’explique-t-elle. Ainsi le mot ‘Miyabi’, difficilement traduisible en français, qui a un rapport à l’humidité, à la moiteur… ». Peut-être se rapproche-t-on là de ce que l’on appelle plus scientifiquement les phéromones ? On perçoit en tout cas dans le terme le rapport à l’éveil du désir, aux aliments japonais dans lesquels la sensation d’humidité et de collant est souvent omniprésente.

« Et, contrastant avec la moiteur, il y a la crudité aussi ! La préparation du poisson, avec une recette traditionnelle légendaire appelée l’Ikéjimé ». L’Ikéjimé, c’est l’ultime sophistication de la pêche japonaise pour tuer le poisson pour qu’il reste tendre le plus longtemps possible, en employant un pique que l’on insère de biais dans le cerveau, à environ deux centimètres de l’œil. De cette manière, le poisson ne souffre pas puisqu’il est tué sur le coup, en un instant.

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C’est ce mélange de douceur et de cruauté qui existent bel et bien dans le rapport entre deux corps gouvernés par le désir…

Emi me parle alors d’un poisson particulier, le Fugu, fameux poisson contenant un poison mortel, et dont il faut être un expert pour pouvoir le cuisiner : « ce que je préfère dans le Fugu, ce sont les shirako (testicules) ! » me dit-elle en souriant.

La Japonaise a d’ailleurs un petit faible pour le réalisateur Jūzō Itami, dont le film culte Tampopo est l’exemple le plus évident entre sexe et nourriture. Présenté à l’époque de sa sortie, en 1985, comme le premier « Western-Ramen », en référence à l’expression « Western-Spaghetti », Tampopo raconte la recherche pour réaliser l’ultime ramen à travers les diverses obsessions des différents personnages. La recette magique de ramen aurait-elle eu lieu ici, au Shinjuku Pigalle ? Elle aurait certainement pu.

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Les… toilettes du Shinjuku Pigalle, pleines de surprises

 Passée la porte au fond du restaurant, on se retrouve en pleine ambiance du quartier de Shinjuku, entouré littéralement de grands posters de films pornographiques entrecoupés de néons de toutes les couleurs. On comprend alors les sourires de celles et ceux en sortant depuis le début de la soirée… Une petite touche en plus qui n’est pas sans rappeler les fameux ‘Shabu Shabu’, ces restaurants à la particularité des serveuses en jupes ultra-courtes laissant les clients découvrir à un moment ou à un autre qu’elles ne portent pas de culotte.

On n’est pas non plus sans avoir une pensée pour le ‘nyotaimori’ (littéralement « présentation sur le corps d’une femme »), popularisé par de nombreux films et livres, pratique consistant à disposer des sushis et autres mets sur le corps nu d’une femme (on n’est pas contre l’expérience avec un homme). Si cette pratique n’a plus vraiment cours au Japon, elle participe activement au lien entre érotisme et gastronomie nippone.

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En attendant, en cuisine, le chef Antoine-kun joue de l’alchimie des plaisirs, qui viennent jusqu’aux tables satisfaire les palais entre les mains délicates de Florence-san et Mari-chan… Nous, au comptoir, on enchaîne les verres de saké, présentés comme il se doit dans de petits cubes de bois, car lorsque l’on sert les verres, il est de coutume de faire déborder le saké dans le cube… Une autre idée de l’ivresse et de la beauté de ce que l’on nomme les débordements… Au-dessus de nous, un néon ironique, souvenir de celui d’Enter The Void. Trois mots absurdes – SEX, MONEY, POWER – à travers lesquels circule, invisible, mais pour toujours le maître mot des âmes damnées ici-bas – DESIRE.

Y.C


On prolonge l’immersion à Pigalle ? Rendez-vous chez Orphée, le bar le plus secret de Pigalle, et terminez la soirée à la Maison Souquet dont on vous parlait ici, ou au Grand Hôtel de Pigalle qu’on vous détaillait par là.

Et si vous voulez descendre juste un peu plus bas, dans le 9e arrondissement, rendez-vous chez nos amis du Club Yonder pour réserver votre nuit avec des avantages très hardis, grâce au code HARDIS20, sur une sélection d’hôtels parisiens à trouver sur ce lien.

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Portrait : Pauline Séné

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