Champion du monde de rugby… et du lièvre à la royale

Cuisine

31OCT. 2023

newsletter

Cuisine

Champion du monde de rugby… et du lièvre à la royale

31 OCTOBRE . 2023

Écrit par Emmanuel Laveran

Deux championnats, l’un hautement décevant, l’autre très enthousiasmant, chronique sportive et gastronomique au lendemain d’un week-end d’émotions rugbystiques et culinaires où à la fin c’est le lièvre qui emporte tous les suffrages !

Un des lièvres à la royale de haut niveau présenté au championnat du monde 2023 © Emmanuel Laveran

 

Si l’on avait décidé de boycotter samedi le match qui devait consacrer l’équipe des Springboks, ce n’est pas uniquement à cause de l’arbitrage lamentable de cette Coupe du Monde de rugby. Auteur de bévues avérées, au point que l’instance organisatrice avait dû s’excuser publiquement, on se demande toujours pourquoi « O’Keeffe », l’arbitre du quart de finale qui élimina l’équipe de France par 3 coups de sifflet indus, s’était retrouvé qualifié pour décider, à nouveau, du vainqueur de la demi-finale la semaine suivante… On n’a pas compris, ni kiffé.

Foi de hardi, l’ensemble de cette parodie de compétition sportive a fleuré le ridicule et l’arnaque à plein nez du début à la fin. D’abord, avec un tirage au sort effectué il y a 3 ans, les 4 meilleures équipes de la planète se sont affrontées en poule puis en quarts de finale. Une fois 2 des grands favoris out, le tournoi a offert un spectacle indigne en demies : la Nouvelle-Zélande écrasait l’Argentine dans une partie à sens unique, comme si l’on avait opposé le leader du Top 14 à une équipe de Fédérale 2. De l’autre côté du tableau, l’Angleterre et l’Afrique du Sud proposaient la plus vilaine des partitions dans un affrontement recensant, du côté du Quinze de la Rose, 41 coups de pied pour moins de 70 passes à la main.

Un record d’indigence que certains loueront comme une « stratégie » de jeu exemplaire. Mais comment parler de « jeu » sans joie ? Un « jeu » sans panache, qui ne valorise que les meilleures défenses, n’est-il pas une forme de caricature, témoignage de la pauvreté affligeante dont se nourrit le rugby d’aujourd’hui ? Une forme de « jeu » mise en exergue aussi par l’Afrique du Sud, dont le gaillard numéro 13 n’a pas touché un seul ballon de sa demi-finale.

Les All Blacks Damian McKenzie et Rieko Ioane, après la finale de Coupe du monde de rugby contre l’Afrique du Sud, au Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 28 octobre 2023. CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS © Le Monde

On en rigole encore dans tout le Sud-Ouest. On pourra toujours arguer que « l’important c’est de participer », le rugby version 2023 a définitivement enterré Pierre de Coubertin 6 coups de pieds sous terre.

Le ballon ovale a étalé au grand jour tout ce qui ne tournait pas rond dans son microcosme, trusté par un entre-soi anglo-saxon déclinant. Il n’aura tiré, avec ses coups de pied et ses petits tas obscurs, aucun nouveau supporter vers sa cause. C’est dommage, l’occasion était rêvée. Avec un arbitrage impartial et une volonté de favoriser le beau jeu, une « petite » nation comme les Fidji aurait pu être mise en lumière.

Les îliens devaient passer un tour de plus. Quant à l’Irlande, largement favorite, ou la France, elles auraient dû être sacrées. Au moins avoir la chance de s’affronter lors d’une finale que tout le monde attendait. Qui du coq ou du trèfle aurait raflé la mise ?

On ne saura jamais et après tout, les faits ne sont pas très graves. Car l’événement majeur de samedi se déroulait bien loin du Stade de France. L’autre championnat du monde mobilisait la charmante bourgade de Romorantin-Lanthenay avec force joie et sourires.

© Emmanuel Laveran

Dans le cadre des journées gastronomiques de Sologne, une compétition internationale enfiévrée battait son plein, bien plus encline à aiguiser le goût du public pour le beau, le bon et le travail bien fait. Tout le monde aura compris que j’évoque ici le championnat du monde du lièvre à la royale, la véritable actualité du week-end !

Un concours forcément partial, mais parfaitement arbitré par le chef étoilé Thomas Boullault, afin de célébrer l’arrivée de l’automne et de la chasse. Ni springbok ni black, c’est Thibault Nizard, aux commandes d’un nouveau restaurant gastronomique à Paris, qui a décroché la timbale.

© Emmanuel Laveran

Avant d’ouvrir l’« Aube » en Avril dernier, rue de Richelieu dans le 1er, le néo champion du monde fut formé dans les cuisines de Gérald Passédat à Marseille (3 étoiles Michelin), du Taillevent ère Alain Solivérès (3 étoiles Michelin dans nos cœurs) et surtout de l’immense Guy Savoy à la Monnaie de Paris (3 étoiles Michelin dans nos cœurs aussi) dont il fut le sous-chef.

Bon sang ne saurait mentir, dans ces maisons-là, il a vu passer quelques lièvres.

Il en propose d’ailleurs actuellement à la carte de son « Aube ». Et c’est sa recette habituelle qu’il a choisi de présenter au concours, face à d’autres candidats aux dents longues : Nicolas Sosa, poulain du chef Tom Meyer à Granite (1 étoile Michelin), Gérard Barbin emmené par Yannick Alléno (Ledoyen, 3 étoiles Michelin), Justin Chereau préparé par David Bizet (L’Oiseau Blanc au Péninsula Paris, 2 étoiles Michelin), Camille Fontaine du restaurant de l’hôtel Armancette à Saint Gervais…ainsi que 4 autres cuisiniers sélectionnés sur dossier.

© Emmanuel Laveran

Les 8 se sont donc affrontés en finale. Une heure trente face au public, au milieu de l’animation d’un salon de la gastronomie, pour réaliser sauces et garnitures, dresser et envoyer chacun(e) 6 assiettes. 3 comportaient le lièvre servi seul, sauce à part, et 3 devaient présenter le plat dressé, escorté de ses garnitures.

Dans une pièce isolée et en marge des cuisines, le jury était resté enfermé depuis 14h30 afin de n’avoir aucun point de contact avec les prétendants. Impossible de reconnaître le plat d’un candidat dans ces conditions. Thomas Boullault, Grand Organisateur, veillait au bon déroulement de l’épreuve et ne votait pas.

© Emmanuel Laveran

Mélanie Serre (« l’Auberge du Bassin » au Cap Ferret), Michel Craca (restaurant « l’Antre Amis » à Paris), Stéphane Buron (3 étoiles Michelin à Courchevel), Frédéric Duca (restaurant « Rooster » à Paris), David Le Quellec (restaurant « Vive » à Paris), David Bizet (2 étoiles Michelin), Eric Canino (2 étoiles Michelin), Julien Roucheteau (2 étoiles Michelin) et Jérôme Banctel (2 étoiles Michelin), Président de l’édition 2023 du concours, faisaient partie des cuisiniers jurés. Pour compléter ce parterre de tabliers blancs, une dizaine de gourmands passionnés jugeaient aussi. 6 notes devaient ainsi ressortir des 18 individus répartis en 6 groupes de 3, dirigés par un chef expérimenté. La moyenne était ensuite facile à calculer pour désigner le lauréat.

C’est bien l’assiette numéro 5 qui se détacha assez nettement du lot. Totalisant 531 points sur 600 possibles, je lui avais, pour ma part, attribué la note de 84/100.

9/10 pour la technique, le lièvre présentant l’innovation de ne pas avoir été, à proprement parler, farci. La viande avait été répartie en morceaux fondants disposés à l’intérieur de la farce. On pouvait nettement distinguer leur agencement harmonieux, en forme de fleur, autour du foie gras central.

La proposition technique du lièvre à la royale lauréat du championnat du monde 2023 © Emmanuel Laveran

8/10 pour l’aspect général, très beau et épuré. Un nappage sombre onctueux recouvrait un rondin de lièvre régulier. Un ramequin d’effilochée de lièvre confit, caché sous un espuma de pommes de terre et sous de jeunes cèpes émincés, complétait un service alléchant.

35/40 soit la meilleure note pour la dégustation du lièvre. Texture parfaite, farce à la fois riche et gourmande, un véritable modèle du genre.

 

Le lièvre à la royale champion du monde 2023 en deux façons © Emmanuel Laveran

25/30, meilleure note aussi, pour la dégustation de la sauce, à la consistance exquise et au goût équilibré entre gibier, truffe, foie gras, poivre et épices.

Faisant partie de la team de David Le Quellec, je fus ravi de constater que le Chef avait également attribué sa meilleure note à la proposition 5. Notre troisième confrère était aligné, la synthèse fut limpide.

Le même débat rapide eut lieu au sein des autres équipes. La moralité, pour reprendre les mots de Jérôme Banctel, s’imposa d’elle-même : « quand c’est bon, c’est bon ».

Deux heures après la dégustation et quelques coupes de Champagne, nous assistâmes donc au sacre mondial de Thibault Nizard, 6ème champion du monde du lièvre à la royale et vainqueur de l’édition 2023.

© Emmanuel Laveran

Concourant dans la catégorie des tatoués de plus de 90 kilos, jamais favorisé par aucun juge, il fut sûrement le seul, ce soir-là, à pouvoir exhiber une coupe du monde digne de ce nom au-dessus de sa fière carrure de rugbyman.


Le lièvre à la royale champion du monde 2023 de Thibault Nizard est à déguster au Restaurant l’Aube,
10 rue de Richelieu,
75001 PARIS

Ajouter à mes favoris Supprimer de mes favoris
Les origines d’Halloween, en Irlande

Les origines d’Halloween, en Irlande

Ajouter à mes favoris Supprimer de mes favoris
Bregenzerwald, un hiver en Autriche

Bregenzerwald, un hiver en Autriche